PREMIÈRE : Alors que Sur la route arrive chez nous en DVD, on a été surpris d’apprendre qu’un nouveau montage du film avait été présenté au festival de Toronto le mois dernier et sortait aux États-Unis…WALTER SALLES : La version montrée à Cannes et distribuée en France a été achevée à la dernière minute. La sortie américaine étant programmée pour l’automne, ça nous a permis de revenir dessus, un peu comme Jim Jarmusch l’avait fait en son temps avec Dead Man. Il y a huit ans, j’avais moi-même eu l’occasion de peaufiner Carnets de voyage entre sa présentation à Sundance et sa projection cannoise. La nouvelle mouture de Sur la route ne trahit pas la première mais la complète, comme ça avait été le cas avec le livre, édité en 1957 puis réédité en 2007 dans une version fidèle au manuscrit original de Kerouac. C’est un exercice intéressant... Je suis très envieux des musiciens qui peuvent interpréter un morceau de manière différente tous les soirs.Lorsque vous avez présenté Sur la route à Cannes, le tournage était terminé depuis un an. Comment se fait-il que la postproduction ait duré aussi longtemps ?Nous n’avons pas pu commencer le montage en parallèle des prises de vues, comme c’est généralement le cas, à cause de la logistiqueextrêmement complexe de ce tournage qui nous a fait parcourir plus de cent mille kilomètres. Au fil du temps, l’Amérique du Nord s’est tellement homogénéisée que vous pouvez rouler pendant mille kilomètres et retrouver les mêmes chaînes de fast-foods que celles que vous avez vues deux jours plus tôt. Ça nous a obligés à dériver de plus en plus loin, à être constamment en mouvement. Le montage n’a pu débuter que deux ou trois mois après la fin des prises de vues. Le film sortait tout juste des fourneaux lorsqu’il a été présenté à Cannes...Son accueil pas très tendre lors du festival vous a-t-il surpris ?Sur la route est un film qu’il faut laisser décanter, et un festival où on a cinq ou six longs métrages à visionner dans la journée n’est pas forcément le cadre idéal pour le découvrir. Je pense qu’on en a pâti et je le comprends. Ça m’a fait plaisir de voir que la réception critique a été par contre très bonnedans des pays comme le Brésil et la Suède, où le film est sorti depuis et où les gens ont pu l’appréhender dans un contexte plus calme.Vous regrettez d’être allé à Cannes ?Pas du tout. C’est un endroit où les films ont la possibilité de naître. Par la suite, ils grandissent, peuvent être revus, reconsidérés. Il y a tellement d’exemples... Je pense notamment à Michelangelo Antonioni, le cinéaste qui m’a donné envie de faire ce métier. Quand on voit l’accueil qu’avait reçu L’Avventura à Cannes, on réalise à quel point les réactions lors d’un festival peuvent parfois être très différentes de celles qu’un film suscitera tout au long de sa vie. Il faut prendre ça avec le sourire et avec sérénité.La réception cannoise a-t-elle joué un rôle dans votre envie de reprendre le montage de Sur la route ?Non. C’est à la suite des discussions qui ont accompagné la sortie du film, notamment au Brésil, que j’ai ressenti le désir d’avoir un récit qui qui ait un peu plus de chair, qui soit plus proche des personnages. Je ne serais probablement pas revenu sur le montage s’il n’y avait pas eu cette opportunité offerte par la sortie américaine. Mais je tiens quand même à défendre la première version. Elle est peut-être plus libre et plus poétique que la nouvelle,qui est plus compacte.Elle est plus courte ?Oui, de douze ou treize minutes, mais il y a paradoxalement plus de scènes. Un jour, j’aimerais pouvoir sortir un DVD qui contiendrait les deux variantes. C’est une situation atypique mais riche en possibilités.Au final, aucune de ces versions n’est la définitive pour vous…Je me sens proche des deux et je les revendique totalement.Ce sera donc aux spectateurs de choisir la leur ?Les différents montages qui peuvent exister d’un film circulent plus facilement aujourd’hui qu’il y a dix ou quinze ans, donc je suis sûr qu’elles leur serontaccessibles tôt ou tard.Chacun sa route…Voilà. (Rire.)Interview de Mathieu Carratier