Abaca

L’acteur est le héros du film Les Confins du monde. Il raconte ici la drôle aventure et les secrets de ce film envoutant signé Guillaume Nicloux.

Indochine. Milieu des 50s. Dans une jungle luxuriante, un homme s’extraie lentement d’un charnier. C’est sur cette image que commence la longue odyssée dans Les Confins du monde. Un étrange film de guerre présenté à la Quinzaine des réalisateurs où Gaspard Ulliel joue un militaire parti chercher vengeance (faire payer le monstre qui a tué son frère) et qui ne trouvera finalement que l’amour. L'acteur incarne de manière incandescente les derniers restes de l’humanité, quand tout, autour, n’est plus que cendre, sang et déréliction… Il revient pour Premiere sur cette folle odyssée et ce film hypnotique.

"Un souffle mystique"

"Nicloux avait ce projet depuis un très long moment. Je sais qu’il avait pensé à d’autres acteurs avant moi, mais comme il nourrissait ce film depuis des années… De mon côté, la rencontre tombait bien parce que je venais de voir Valley of Love et j’avais très envie de travailler avec lui. Il est dans une recherche formelle intéressante. Son chemin est singulier dans le cinéma français, et chacun de ses films essaie de sortir du conformisme et des codes courants. Quand je regarde ses trois derniers films par exemple, j’y trouve un souffle mystique qui prend le dessus sur l’histoire principale. J’y trouve mélange de choses très prosaiques, très physiques et une sorte de métaphysique silencieuse fascinante.

Ce que j’ai tout de suite aimé dans le script, c’était sa dimension un peu floue, et l’opposition entre un film spectral (qui s’organiserait autour du duo que je forme avec Gérard Depardieu) et un film plus physique, guerrier, incarné par Guillaume Gouix. C’est un voyage au pays des morts. Le film s’ouvre d’ailleurs sur mon personnage qui surgit d’un charnier, comme s’il revenait des enfers et tout le travail de Nicloux consiste à rendre visible l’invisible, avec ces volutes narratives, ces mouvements de caméra particuliers et l’sage du ralenti…"

"Il fallait réinventer le processus du tournage"

"Le tournage a été dingue. On est resté plusieurs semaines au Vietnam, dans une ambiance… flottante. Le dispositif était inhabituel : c’était une toute petite équipe, on tournait longtemps, sans horaires, et dans un environnement sinon hostile, très dur. Il fallait réinventer le processus de tournage. D’ailleurs, Guillaume (Nicloux) entretenait ça : il n’y avait jamais rien de prédéfini, de fixé. Souvent il me disait : "le film est en train de m’échapper, il part ailleurs". Il était dans cette idée que le film devait s’imposer à nous. Ca peut être frustrant pour un acteur, au début. Il ne donne jamais de clé : il veut qu’on se débarrasse de toute psychologie. Il refuse de parler du script. J’ai essayé de lui proposer de faire des lectures, de discuter de certaines scènes, mais j’ai vite compris qu’il ne partageait pas ça. Je crois que c’est parce qu’il veut être vierge, disponible et ouvert au film qui va se créer devant ses yeux. Et que chacun puisse amener à travers sa sensibilité un truc en plus."

Découvrez toute l'actualité du festival de Cannes dans notre dossier spécial

"Violent et doux à la fois"

"C’est un film de guerre, un film cru, brutal mais c’est aussi un film parsemé d’une vraie douceur. Violent et doux à la fois. Il y a aussi un aspect très féminin qui s’en dégage. C’est une féminité qu’on retrouve chez Gérard (Depardieu) d’ailleurs. Il a ce côté spectral dont on parlait et sa trajectoire doit être éclairée par un élément qui revient plusieurs fois dans le film : St Augustin (dans le film, le personnage de Depardieu confie une édition des Mémoires). Dans sa vie, Augustin était passé du manichéisme à quelque chose de plus plein, de plus spirituel – ce qu’il appelle La Vérité Révélée. Le personnage de Gérard semble avoir accédé à ce stade alors que mon personnage est encore dans l’errance."

"La Guerre comme bruit de fond"

"Il y avait des références de cinéma très évidentes. Et ça me plaisait. Apocalypse Now ou La 317ème Section…. Ce que j’aimais c’était que comme dans le film de Schoendoerffer, la guerre est un bruit de fond. On perçoit la violence, les armes, les combats, mais c’est une histoire humaine d’abord. J’avais aussi pensé au film de HHH, The Assassin : c’est un film de samourais, mais où les combats sont rares et qui sont presque subliminaux. Par ailleurs – sans doute pour figurer l’investissement physique et cette idée de la fusion de mon personnage avec la jungle -, Guillaume m’avait demandé de voir Rescue Dawn. Mais c’est un cinéaste qui ne donne pas trop d’informations sur son projet. Il veut se laisser prendre par un dispositif, un environnement, une histoire. Il veut saisir une évidence et pour ça, il faut laisser les choses infuser je crois."

"Des films sur l’absence"

"Je me suis rendu compte récemment que Nicloux faisait des films sur l’absence, sur la part manquante. Mon personnage par exemple n’a plus d’identité. Il y a plein d’indices dans le film : je n’ai plus de plaque militaire, on ne me retrouve pas sur les registres, à un moment un photographe essaie de me prendre en photo et je lui arrache son appareil… C’était une piste que j’adorais. Et les deux personnages, celui de Guillaume et le mien doivent apprendre à vivre avec leur peine. L’aimer. Ils ont le complexe du survivant. C’est un thème déchirant."