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Rendons hommage au réalisateur de Bonnie and Clyde et Little Big Man, trop souvent sous-estimé.Décédé hier, à l'âge de 88 ans, Arthur Penn a laissé derrière lui une filmographie certes fine, mais sans faute de goût. Retour sur ce réalisateur méconnu qui a signé de grands chefs d'oeuvre du cinéma hollywoodien.La réécriture mythologique du cinéma américain des années hippies sous le terme de "Nouvel Hollywood" a ôté la chaise sur laquelle un type comme Arthur Penn était assis. Parce qu’il n’était pas du Nouvel Hollywood du tout, ni de leur bande ni de leur génération (il avait vingt ans de plus), qu’il n’a pas pris les mêmes drogues qu’eux ni connu les mêmes gueules de bois. Le problème est qu’il n’a jamais fait partie du "vieil Hollywood" non plus, puisqu’il n’en a connu ni les stars, ni les contrats d’exclusivité, ni les années de faste. Alors où on le place, le bon Arthur et ses quelques chefs-d’œuvre que tout le monde a vus (ou devrait) ?Généralement, on cite son nom dans une phrase pleine de virgules où sont aussi mentionnés Sam Peckinpah, Robert Mulligan, Sydney Pollack, George Roy Hill et Sidney Lumet. Toute une bande de cinéastes qui ont fait leurs débuts dans les mêmes années (les 50’s), dans les mêmes conditions (c’est-à-dire en participant aux débuts de la télé de masse) et à peu près au même âge. Coincés entre ordres ancien et nouveau, ils forment un peu la "lost generation" de Hollywood, qu’on les ait perdus en route (Peckinpah, mort en 84), de vue (Hill, Mulligan et Penn depuis les années 80) ou encore qu’ils se soient parfois perdus eux-mêmes (les deux Sidney après les 70’s).Arthur Penn est l’exemple parfait, presque caricatural, du "cinéaste des années 60-70". Il passe au grand écran en 58 et tourne son dernier film important en 1981, comme si son œuvre d’auteur s’efforçait de contenir l’ensemble de ces deux décennies à l’intérieur de parenthèses symboliques. Il ne fut jamais hippie lui-même (il avait déjà 45 ans en 68) mais il fut une sorte de chroniqueur infatigable de l’esprit contre-culturel, commençant par une version hormonale, gay friendly et post-James Dean du western (Le Gaucher, avec Paul Newman en Billy the Kid torturé et œdipien) et finissant par la belle fresque d’immigration Georgia, prototype du "film de potes" (titre original : Four Friends) qui se veut "portrait d’une génération". Son échec commercial cuisant lui signifia d’ailleurs clairement une chose : les années 80 ne seraient pas pour lui.La faute de Arthur Penn aura souvent été de ne pas « en être ». Ni jeune, ni vieux, ni hippie, ni straight, ni ancien, ni moderne, ni rien. Mais c’est aussi ce qui fait le prix de la plupart de ses films. Il observait l’explosion de la culture jeune à un âge qui lui interdisait d’y participer lui-même mais qui faisait de lui le mieux placé pour tenir la caméra et l’inscrire dans l’imaginaire du cinéma. L’esprit de la contre-culture s’incarne dans tous ses films à partir du plus célèbre d’entre eux Bonnie & Clyde (1967), où il traite les outlaws Warren Beatty et Faye Dunaway comme des rock stars du summer of love. Son film suivant Alice’s Restaurant met les points sur les i en filmant l’utopie tragicomique d’une communauté hippie qui se fracasse sur la réalité de la drogue, des jalousies et de la nature humaine. Ce film-là sort en 1969, comme Easy Rider, d’un autre récent défunt, Dennis Hopper. Il dit la même chose (que le rêve finit mal) mais aussi exactement le contraire (que ça n’a rien de particulièrement romantique). En 74, un autre chef-d’œuvre moins connu, la Fugue avec Gene Hackman, utilisera la forme d’une série noire épuisée pour marteler un même constat désenchanté sur les dérives de la révolution sexuelle et le dégoût post-60’s.En être ou ne pas en être, telle sera toujours la question posée par les films d’Arthur Penn. Pourquoi quand il s’évade de prison le jeune Redford de La Poursuite impitoyable revient-il dans la petite ville sudiste dont il avait si bien fait de s’échapper? Parce qu’il y appartient, même malgré lui, et qu’il est destiné à y rester. Pourquoi le shérif Brando finit-il, lui, par la quitter ? Parce qu’il comprend qu’il n’y appartiendra jamais, ou alors littéralement, à condition de renoncer à être son propre maître. L’autre film le plus célèbre de Penn, Little Big Man, exprimera cette idée d’une façon encore plus littérale à travers le portrait d’un Dustin Hoffman traversant l’histoire de l’ouest en étant à la fois tout (blanc, indien, tireur d’élite, Tunique bleu, bourreau, victime, naïf, désabusé) mais surtout rien (ni vraiment blanc, ni tout à fait indien, ni quoi que ce soit d’autre, sur la durée), juste l’ombre d’un pays qui ne sait pas où il habite.Penn est mort trente ans après son dernier beau film, et quinze après son dernier film tout court (Inside, petite chose sur l’Apartheid). Il était retourné au théâtre et avait longtemps dirigé l’Actor’s Studio, où il avait fait ses débuts à son arrivée à New York à la fin des années 40. Ça, en revanche, il en était, il en avait fait sa maison. Mort à 88 ans, beaucoup moins (re)connu qu’en d’autres temps, il fut pourtant un cinéaste décisif, filmant la violence comme personne (le mitraillage final de Bonnie & Clyde en accéléré/ralenti) et changeant pour toujours le cinéma américain, puisque le même Bonnie & Clyde fut le film qui mit fin au code Hayes, par lequel les studios s’interdisaient certaines représentations du sexe et de la violence. Cela lui valut un succès immense et mérité, mais aussi une réputation (grotesque) de cinéaste "complaisant" et "facile". On veut dire avec force qu’il fut tout le contraire avec une constance, une probité artistique et une ambition dans lesquelles se nichait aussi une sacrée dose de talent.Guillaume Bonnet