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Rencontre avec Frédéric Sojcher, réalisateur du film HH, Hitler à HollywoodEt si Hollywood avait tenté d’écraser la production européenne pendant la seconde guerre mondiale ? C’est l’une des thèses d’Hitler à Hollywood, le faux-documentaire de Frederic Sojcher, où Maria de Medeiros court à la manière d’un Tintin en jupons sur les traces d’un film perdu. Revisite enjouée du film de complot, Hitler à Hollywood ouvre le livre à double-fonds d’une histoire méconnue du cinéma, entre franc délire et faits avérés … Propos recueillis par Alex Masson Pourquoi le choix d’une fiction et non d’un documentaire sur un tel sujet ? C’est tout le pari du film : s’adresser à des personnes qui ne sont pas celles concernées par ce sujet. Et ça passait mieux par la fiction. Avec un documentaire j’aurai rencontré deux obstacles : d’abord l’accès aux sources, notamment américaines. Il n’est pas vraiment évident d’avoir des réponses sur ce sujet qui tient du secret diplomatique. La fiction me permettait de le contourner en inventant des choses à travers lesquelles je pouvais laisser filtrer les faits. Et ensuite, un documentaire aurait été moins ludique pour les gens qui ne connaissent pas l’histoire du cinéma ou ne sont pas cinéphiles. Or je tenais à amener les spectateurs à se poser des questions qu’ils ne se seraient pas posés devant un documentaire… Avec le risque qu’il ne soit pris que pour une fiction… Je sais. La réalité est déjà incroyable : tous les dictateurs ont eu un rapport fort avec le cinéma, et beaucoup plus avec les films de fiction qu’avec les documentaires ou les films de propagande. J’ai appris récemment qu’au moment du débarquement en Normandie, quand les allemands ont commencé à reculer, des avions partaient quotidiennement de Berlin pour parachuter les derniers films de fiction faits à la UFA (NDR : le grand studio allemand crée pour la propagande allemande à l’aube de la première guerre mondiale). C’était considéré comme une priorité de guerre, au même titre que les armes ou le ravitaillement… Pour revenir à la question, même si Hitler à Hollywood ne doit pas être perçu comme ça, je crois que le pouvoir même de la fiction, amène obligatoirement à s’interroger sur ce qui y est dit. Hitler à Hollywood indique clairement qu’à cette période la culture était un investissement crucial pour les gouvernements. Alors qu’aujourd’hui, on voit que les institutions tentent de plus en plus de s’en retirer… C’est une erreur historique de penser qu’en temps de crise, la culture devient quelque chose de secondaire. Ca devient justement, à l’inverse, quelque chose d’essentiel, y compris sur un plan économique. Jean-Pierre Jeunet raconte souvent que des années après, il y a toujours autant de touristes américains, japonais ou russes qui viennent à Paris voir Montmartre à cause d’Amélie Poulain. Le Paris de son film n’a rien à voir avec la réalité, mais il a eu un impact économique concret. Hitler à Hollywood attire l’attention sur une imprécation américaine, mais reprend à son compte un récit purement hollywoodien ; celui du film de complot. Malgré son propos mon film n’est pas anti-américain. J’adore les films de complot, que je prends énormément de plaisir à voir. Je voulais le transmettre aux autres. Sans compter que l’un des principes d’Hitler à Hollywood reste le jeu sur ce qui est vrai ou faux – ne serait-ce que parce que je demande aux acteurs de jouer leurs propres rôles. J’ai toujours pensé qu’un film est réussi quand on croit à ce qu’il raconte, même si son contexte est des plus improbables comme dans la science-fiction ou l’épouvante. Ce besoin de se laisser porter par des histoires est dans la nature humaine. D’où l’importance que le cinéma le fasse à travers des cultures différentes, et pas unique, ce qui formaterait la pensée. S’il n’existait que des films américains, on serait face à un énorme problème. Y compris, à long terme, pour l’Amérique : les mouvements sociaux et politiques que l’on observe aujourd’hui, qui ne sont que des résurgences de nationalisme, fascisme ou populisme viennent aussi du fait qu’on est dans une époque de culture globalisée. Si chacun pouvait s’exprimer, émettre son point de vue par la culture, on n’en serait peut-être pas là. L’échange culturel n’est en rien un renoncement à sa propre culture. Hollywood est basé sur ce principe : ses fondateurs et ses producteurs de légende étaient des européens exilés aux USA… Le problème d’Hollywood aujourd’hui, c’est que les nouveaux patrons de studios sortent des écoles de commerce, sont beaucoup moins cinéphiles, connaissent beaucoup moins le cinéma que par le passé. Bien sûr, à la grande époque, l’objectif mercantile était là, mais les décideurs avaient aussi des ambitions artistiques, étaient les premiers spectateurs de leurs films… C’est aussi parce que le cinéma était alors considéré par l’establishment américain non pas comme une industrie florissante, mais comme un art forain, un peu méprisé. Les WASP, la haute-bourgeoisie locale ne voulaient surtout pas y être mêlés, et l’ont laissé à des Européens. La sortie d’Hitler à Hollywood illustre en soi votre propos : c’est une petite sortie, écrasée par celle d’un blockbuster (Fast and Furious 5)… Oui et non : déjà c’est un film qui existe et qui a coûté très peu d’argent. Si on se place sur un plan strictement économique, il sera beaucoup plus facile à rentabiliser qu’un blockbuster. Un film qui coûte 50 millions d’euros et qui fait 100 000 spectateurs c’est une catastrophe, à 500 000 euros, c’est une réussite. La diversité passe aussi par là. J’ai toujours été conscient qu’Hitler à Hollywood ne pourrait pas avoir le même succès qu’une grosse comédie. En revanche, la difficulté est de pouvoir exister ; trouver son public. Même si ça ne veut pas forcément dire le « grand public »… Et en tous les cas, il est sain pour les spectateurs, que tous ces types de films puissent co-exister.