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À l’exception de Marguerite, tous les films concourant dans les catégories majeures ont été présentés à Cannes. 

Toutes les émotions des César 2016 avec BNP Paribas

C’est comme ça tous les ans. Depuis 2010 et Un Prophète en tout cas. Chaque année, une majorité de films découverts à Cannes truste les nominations aux César, entérinant ainsi les choix de Thierry Frémaux et de ses comités de sélection qui visionnent, dès février, à peu près toute la production française à venir. On rappelle la règle : les « meilleurs » vont en Sélection Officielle (Compétition et Un Certain Regard) et les « méritants » sont repêchés par la Quinzaine et La Semaine de la Critique. Bon an, mal an, Cannes dans son ensemble devient donc la vitrine « objective » d’un certain cinéma français. On a bien dit « un certain ». Cette année par exemple, il s’agissait d’un contingent national fleurant le demi-million d’entrées et le prime de France 2 plus que la radicalité d’auteur kamikaze. Ajoutez à cela (une volonté clairement énoncée par Frémaux) une tendance au réalisme social moustachu et pluvieux et vous aurez un « un certain » reflet de la prod hexagonale. La Loi du marché (Lindon au Super-U), Dheepan (un Audiard sans star ni cul de jatte mais avec des tamouls), La Tête haute (Deneuve en prison)...

Les nominations aux César 2016

Huit mois, une palme et deux prix plus tard, revoilà donc tous ces films (ou presque) sélectionnés pour la grande cérémonie du cinéma français. Et c’est peut-être le problème. Sur les huit longs métrages qui concourent au titre de meilleur film, sept ont été montrés sur la Croisette. Enorme. Inédit. Et finalement, étrange reproduction xerox de l’académie qui risque à la longue d’être contre-productive.

Ce suivisme est en partie naturel : aujourd’hui, peu de films échappent au radar de Frémaux. « Ce n’est pas difficile de sélectionner les chef d’œuvres nationaux quand TOUS les films français lui sont montrés » nous expliquait récemment un producteur. Depuis plusieurs années, le festival s’est effectivement imposé comme l’endroit où les films doivent être montrés. « L’industrie du film – et particulièrement l’industrie française - s’organise autour du festival parce qu’il n’y a rien d’autre (Berlin n’existe pas et Venise n’existe plus) » analyse un distributeur ; « la puissance du relais médiatique, le nombre de participants, la présence de passionnés : c’est le dernier endroit qui permet de faire écho à l’art et essai, à un certain type de cinéma. Pour les Français, c’est essentiel. C’est une exposition maximale et mondiale », continue-t-il. Ce à quoi un autre lui répond : « c’est un screen test géant ». Selon cette logique, on imagine qu’il est difficile pour les César d’échapper à la sélection cannoise puisque TOUS les bons films s’y trouveraient. Tous les films qui comptent et qui feront l’actualité jusqu’à la fin de l’année. Mais c’est oublier ceux qui ont été recalés et ceux qui n’y vont pas (pas finis, pas formatés, pas pensés pour…). En les laissant sur le bord de la route, les César sanctionnent encore plus la puissance (déjà en partie fantasmée) du festival, et accréditent encore plus l’idée que TOUT le cinéma français est à Cannes. Le serpent se mord la queue.

C’est flagrant cette année avec les absents des nominations. Prenez Le Nouveau, pépite de film ado qui, selon la rumeur aurait été refusé à la Semaine. Le film est un carton critique, a relativement bien marché en salles, mais n’apparaît nulle part dans la liste. Un hasard ? Papa ou Maman de Martin Bourboulon ? Absent des nominations alors que le film a été produit, écrit et porté par les auteurs du Prénom, un film qui avait récolté 9 nominations aux César 2013. Son tort a-t-il été de ne pas fouler la Croisette ? Et le Podalydès, Comme un avion ? Grosse presse, gros carton public, mais il avait sauté la case du festival. Tiens, il n’est pas là…

Le cas Rappeneau est encore pire. JP a été nommé aux César pour tous ses films depuis Cyrano (il a même reçu le César des César en 1995), comment expliquer son absence aux César 2016 ? Doit-on y voir un lien avec le refus de Frémaux de le sélectionner ? Parce que ce film surstylisé, qui parle d’une France bourgeoise et provinciale sur un rythme de screwball et dans un style flamboyant ne correspondait pas à la charte « réaliste » imposé lors du dernier festival, il aurait été boudé par l’académie ?

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Cette année, les votants auront donc préféré choisir entre Maïwenn et Desplechin, Audiard et Donzelli. Cette cérémonie devrait pourtant avoir une autre fonction ; oublier le copier coller cannois pour célébrer un cinéma ouvert, corrigé en fonction de plusieurs critères objectifs - tels que la réception publique des films, le recul critique et la nécessité de la pluralité des nommés. Alors on rétorquera qu’il y a Marguerite. Le film de Xavier Giannoli avait été refusé par le comité de sélection (avant de se retrouver à Venise) et apparaît aujourd’hui comme le dernier recours contre une « qualité française » made in (ou by) Cannes. C’est dû à son succès public et à l’ADN même du film (auteur, mais populaire ; en costume, mais pas pompier). Finalement, c’est l’exception qui confirme la règle, et sa présence rend l’inflation cannoise bizarrement encore plus forte.

Les nominations aux César 2016 laissent finalement penser qu'un film qui ne passerait pas par la case cannoise serait voué à faire de la figuration lors de la grand-messe du cinoche hexagonal. Doit-on attribuer ça à une forme de frilosité ? À de la paresse ? A la progression de la puissance du monstre cannois ? Si Marguerite rafle tous les prix le 26 février prochain, on pourra en tous cas en conclure que Cannes ne peut pas être le seul horizon du cinéma français.