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La Chambre bleue sera diffusé demain soir à 20h45 sur Arte.

Mise à jour du 3 décembre 2016 : A l'occasion de la diffusion de La Chambre bleue sur Arte demain soir, nous republions une interview de son réalisateur et acteur principal, Mathieu Amalric.

 


Interview du 16 mai 2014 : Cette histoire d’adultère qui tourne mal ressemble à mille autres. Pourquoi avoir voulu adapter ce roman de Simenon en particulier ? Toutes les histoires de Simenon sont banales. Chacun a son Simenon préféré dû au hasard des toilettes de maisons de campagne. Un jour, on ne sait pas pourquoi, il y en a un qui traîne, on le ramasse, on le dévore et ça devient le vôtre. Ça ne veut pas dire que c’est le meilleur. La chambre bleue, je ne sais même plus où je l’ai volé. Mais tout est parti du producteur Paulo Branco. Je le croise par hasard dans la rue alors qu’il sait que je suis dans l’adaptation du Rouge et le Noir de Stendhal pour des siècles et il me dit : « Tu veux pas tourner un film en trois semaines ? » Ben ouais, t’as raison, en fait. Je n’imaginais pas que les droits étaient libres, il y a tellement de gens qui ont voulu adapter ce bouquin…

Qui par exemple ? Pialat. Deneuve m’a également dit que Téchiné avait voulu le faire avec elle. Depardieu cherchait à le faire porter à l’écran par Chabrol. Denis Freyd, le producteur des Dardenne, m’a confié que les frères y avaient aussi pensé. Moi, j’ai voulu le transposer avec un vrai plaisir de série B. Avec le chef op, on se disait qu’il fallait tendre vers une esthétique à la Derrick ! Essayer de ne pas signer les plans, être dans une efficacité purement narrative et sensorielle.

Quand avez-vous trouvé le temps de l’écrire ? C’est ma compagne, Stéphanie Cléau, qui a commencé l’écriture car j’étais en Suisse sur le tournage de L’amour est un crime parfait des Larrieu. J’utilise beaucoup l’état d’irresponsabilité extraordinaire dans lequel on est plongé quand on n’est qu’acteur sur un film. Vous n’avez à vous soucier de rien, si votre enfant est malade, vous êtes officiellement au travail. Ça me permet de lire beaucoup sur les tournages. J’ai commencé à dispatcher le livre dans l’équipe, je l’ai fourgué à l’ingénieur du son, au décorateur, à la maquilleuse. Au final j’ai quasiment repris la même équipe que les Larrieu ! Comme par hasard, le fils de Simenon vit à Lausanne. Il m’a donné rendez-vous dans un aéroport parce que, m’a-t-il dit, « c’est plus facile pour se garer », et on a obtenu les droits. Puis Stéphanie est venue me rendre visite avec les gosses et pendant qu’ils skiaient, on était en bas des pistes à bosser en mangeant des tartes aux myrtilles.

La Chambre bleue : Amalric fait de l'oeuvre de Simenon un trip lynchien

Quand avez-vous décidé que votre compagne jouerait la maîtresse ? Au départ, c’était une blague entre nous. Juste avant que je quitte Paris pour rejoindre le tournage des Larrieu, elle m’a dit : « Et si je jouais la femme infidèle et toi l’amant ? » Ce qui ne m’a pas du tout fait rire vu que je partais deux mois seul en Suisse, je n’aime pas être absent aussi longtemps... Là-bas, je relis le livre et je tombe sur des phrases : « Les brunes te font peur », « Parce qu’elle était trop grande »… Stéphanie est brune et beaucoup plus grande que moi. Et puis il y avait cette autre phrase « Je ne pensais pas qu’elle était comme ça, je la croyais froide, hautaine, une statue. » Il fallait donc éviter d’être dans La femme et le pantin, la maîtresse ne pouvait pas être une vamp. Bref, Stéphanie devenait le personnage, il n’y avait plus le danger de filmer la femme avec qui je vivais.

Les scènes que vous partagez sont très sexuelles… Oui mais je filme l’après coup, cet instant après l’acte qui se décompose de lui-même : c’est ça, l’horreur de la sexualité. Les mots du roman « lit dévasté », comment les retranscrire ? Niquer en vrai parce qu’on est un couple dans la vie en demandant à l’équipe de sortir pendant deux heures ? Non. Le livre suggérait une solitude glacée, presque photographique. Sans être dans une religion bressonienne car je me méfie beaucoup de la théorie, je trouvais qu’il y avait une sorte de dissection, l’après acte avait quelque chose à voir avec une nature morte. Bref, on était protégé par le fait qu’on devait faire des plans. Et en faux. Donc pour être essoufflés, on appliquait davantage la méthode Laurence Olivier que Dustin Hoffman, on n’allait pas baiser pour de vrai mais monter et descendre les escaliers de l’hôtel à poil comme des fous cinq fois de suite avant de se jeter littéralement dans le plan. A l’hôtel, on nous prenait pour des dingues !

Le cycle infernal de vos amis réalisateurs à qui vous ne pouvez pas refuser un rôle va-t-il reprendre et repousser d’autant votre prochain long-métrage ? Oui ! Mais je vis mieux tout ça maintenant, je suis moins en colère. Je suis conscient que voir d’autres gens travailler, ne pas me morfondre dans la solitude du réalisateur qui attend des financements, est une chance. Et puis tout se combine. Par exemple, quand je préparais La Chambre bleue, j’étais sur le tournage d’Arrête ou je continue de Sophie Fillières. Et bien je me suis servi de ça pour incarner mon personnage, un homme absent. Je me disais que si je pensais à autre chose pendant que je jouais, ça se verrait à l’écran et ça irait dans le sens du film.

Jeanne Balibar va incarner Barbara devant la caméra de Mathieu Amalric

Avec Desplechin, les Larrieu, vous arrivez encore à vous surprendre ? Oui ! Arnaud me surprend toujours. Je vous avoue qu’entre Rois et reines et Un conte de Noël, j’ai eu un doute. Je lui ai dit « t’es sûr qu’il ne vaut pas mieux que tu prennes quelqu’un d’autre ? On risque de se répéter, non ? » Eh bien non. Avec les Larrieu, c’est la phrase de Richard Burton, j’ai l’impression d’être une actrice. Ils jouent à la poupée avec moi. J’adore être leur corps commun à tous les deux, leur vecteur d’une forme d’homme idéal. C’est quand même génial de faire un film (L’amour est un crime parfait) où tu rentres dans une pièce et toutes les nanas doivent être consumées de désir… Tourner dans cette université avec ces étudiantes toutes plus belles les unes que les autres, ça n’existe pas dans la vraie vie. Les Larrieu créent une circulation du désir permanente pour toute l’équipe. Alors je me laisse bercer, prendre. Si je n’étais qu’acteur, ça pourrait même être dangereux pour ma psyché !

Quand vous acceptez de tourner une ou deux scènes pour Cronenberg (Cosmopolis) ou Wes Anderson (The Grand Budapest Hotel), c’est juste pour les regarder travailler ? Oui. Pour Cosmopolis, c’est Paulo Branco qui produisait, il a parlé de moi à Cronenberg qui a trouvé que c’était une bonne idée. C’est con, il m’avait proposé un rôle dans son dernier film, Maps to the stars, j’étais à deux doigts de dire oui mais c’était juste avant le tournage de La Chambre bleue, il fallait partir quatre jours à Toronto… J’ai été raisonnable. Wes Anderson est très fidèle, c’est un homme de troupe, il m’avait déjà demandé de faire la voix de Clooney dans Fantastic M Fox. Pour The Grand Budapest Hotel, il m’a appelé : « excuse moi, excuse-moi de te proposer ça, c’est un rôle de rien du tout… » « Mais ça va pas ? J’arrive ! » Ils ont chacun leurs ficelles de magicien, des « trucs ». Je les mets dans ma boîte à outils pour m’en servir plus tard.

Finalement, est-ce que La Chambre bleue a un peu éloigné de vous votre fantasme ultime d’adapter Le rouge et le noirCurieusement, j’ai un peu l’impression d’avoir fait Le rouge et le noir à travers le Simenon. Comme par hasard, j’ai appelé mon personnage Julien à cause du procès qui me faisait penser à celui de Stendhal. Il y a cette histoire de déconstruction du temps aussi, de la vitesse. J’ai appris sur le tard que Simenon était un fan de Stendhal. Et puis je vous avoue qu’après avoir réalisé La Chambre bleue, j’ai envie d’un film qui exalte la vie…
Interview Stéphanie Lamome