Adieu Paris
Le Pacte

Un diner entre amis plein de nostalgie, avec François Damiens, Benoit Poelvoorde, Pierre Arditi…

Quelque part entre le Blier des Acteurs et le Leconte des Grands Ducs, Edouard Baer réunit pour son quatrième long-métrage en tant que réalisateur une poignée de cabots plus ou moins vieux, confinés dans un huis-clos gastronomique et ruminatif. Chacun des briscards convoqués ici est invité à jouer une variation sur lui-même, ou du moins sur son image publique : Pierre Arditi est le comédien passionné qui se fâche tout rouge à la moindre contrariété ; Jackie Berroyer est le clown triste, soliloquant dans son coin ; Bernard Le Coq fait le vieux beau ; Daniel Prévost manque de s’étouffer en riant à ses propres blagues… Ces grandes gueules se sont données rendez-vous pour leur déjeuner annuel à la Closerie des Lilas, où, comme le veut la tradition, un nouvel invité doit rejoindre la confrérie – mais le guest en question, Benoît (Poelvoorde) va être condamné à passer le film à siroter des verres au bar, en marge du gueuleton, à cause d’un faux pas qu’il a commis dans une soirée quelques nuits plus tôt…

Comme souvent chez Baer – et peut-être encore plus cette fois-ci que d’habitude – l’argument du film est un prétexte. Prétexte, en l’occurrence, à faire l’élégie d’un Paris à l’agonie, celui des saints buveurs, des clochards célestes et des fanfarons sublimes, un Paname englouti et à demi-fantasmé qui commençait déjà à sombrer à l’époque où Baer en devint l’un des rois, dans les années 90. Cette décrépitude s’entend ici dans les rires étranglés des comédiens fatigués, dans l’amertume où s’échoue chacune de leur digression éthylique… Parce qu’on est chez Edouard Baer et que celui-ci continue de fuir comme la peste l’idée d’« efficacité » comique, le film, fatalement, s’égare, s’éparpille, malgré quelques belles idées – le running-gag (très triste) d’un Depardieu incapable de sortir de chez lui (une allégorie de son statut de géant empêché, aux pattes sciées), ou l’image de cette dame-pipi écoutant en boucle des émissions sur De Gaulle et Pétain, comme une mise en garde contre les effets néfastes de la nostalgie.

Baer a toujours adoré les pôles contraires : faire la fête pour mieux savourer ensuite la mélancolie d’une bonne gueule de bois, réunir des comédiens aimés pour révéler leur part de médiocrité et de laideur… On regrette pourtant qu’il n’appuie jamais trop fort, jamais trop longtemps, là où ça ferait vraiment mal, contrairement à Cassavetes, son évident modèle. Il faudrait plus de vacherie, plus de folie (et encore plus d’alcool ?) pour que Baer parvienne à libérer le Husbands qui sommeille peut-être en lui.