Old
Universal Pictures

Shyamalan organise son petit chaos temporel avec un art consommé du divertissement. Pas un grand film, mais un bon moment.

Dans la carrière d'un auteur hollywoodien, il y aurait d'un côté des "films" -des œuvres d'auteur qui donnent à voir et à réfléchir- et de l'autre des "movies" -des divertissements apparemment moins personnels et plus commerciaux. On emprunte cette distinction à l'oeuvre de David Fincher : d'un côté The Social Network et de l'autre The Game, en gros. Aucun des deux n'est moins un Fincher que l'autre ; aucun des deux n'est forcément meilleur que l'autre ; mais vous conviendrez que la visée n'est pas la même. Cette précision liminaire pour indiquer que, vous l'aurez deviné, Old est dans l'oeuvre de Shyamalan, un "movie" plutôt qu'un "film". Le sujet n'est d'ailleurs pas original mais emprunté à une bande dessinée, Château de sable de Frederik Peeters et Pierre Oscar Levy : sur une plage exotique, des vacanciers réunis par hasard le temps d'une excursion se mettent à vieillir de façon accélérée. Une demi-heure vaut une année. Pourquoi, comment ? Vous pensez vraiment qu'on va vous le dire ? En fait, la raison (car il y en a une, et elle sera expliquée dans les quinze dernières minutes d'ailleurs pas terribles) n'est pas du tout le sujet du film. Ce qui intéresse Shyamalan, de toute évidence, c'est d'orchestrer ce petit chaos temporel avec une gourmandise un brin vicieuse, plutôt que de mettre en place le mécanisme à twist qui serait sa marque de fabrique : ce serait oublier que le metteur en scène de Sixième sens vaut bien mieux, par son sens de l'émotion et du divertissement, que ses "révélations finales" plus ou moins réussies.

Gael García Bernal : "Old, c’est Shyamalan qui se réinvente" [interview]

Faisant pousser le film dans son territoire habituel de fantastique, sur la frontière crépusculaire où normal et anormal se chevauchent (la Twilight Zone restant l'horizon indépassable de la fiction strange US), Old est une série B tordue où le cinéaste parvient à glisser ses obsessions : guettez les apparitions de la couleur violette, et aussi du cinéaste lui-même, dans le cadre, par exemple. Et certains passages, grâce au couple formé par les excellents Gael García Bernal et Vicky Krieps, font surgir de l'émotion au moment où l'on s'y attend le moins, au milieu de ces jeux de cadres appuyés (beaucoup d'amorces et d'arrières- plans), de travellings manipulateurs. Sans trop spoiler -vous comprendrez quand vous le verrez- Old devient très rigolo quand on l'envisage comme un reflet bisseux de La Jeune fille de l'eau, où le cinéaste se met tout autant en scène, mais pas comme un auteur maudit incompris des critiques mais comme lui-même : un réalisateur définitivement plus malin que les autres.