Cannes jour 10
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On a aussi rencontré Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste pour Le Temps D'Aimer de Katell Quillévéré.

Le film du jour : Perfect Days, de Wim Wenders (en compétition)

A Tokyo, un homme obéit chaque matin au même rituel : il se lève, range sa chambre, enfile sa tenue d'employé de la société "The Tokyo Toilet", glisse une cassette de rock dans son autoradio et part nettoyer les toilettes publiques du quartier de Shibuya, un sourire aux lèvres… Wim Wenders revient au pays de son Ozu chéri (et dans la compétition cannoise) avec ce Perfect Days qui pourrait bien être une réponse au Patterson de l'ami/disciple Jim Jarmusch…

D'un film à l'autre, c'est le même portrait d'un homme vaquant à ses occupations quotidiennes, trouvant dans la routine, et la concentration sur son labeur, une source infinie d'émerveillements miniatures et d'extases zen. Modeste, oui, Perfect Days est surtout une œuvre profonde, délicate, subtile, la meilleure fiction signée Wenders depuis, euh, pfiou… impossible de se souvenir quand c'était la dernière fois. Précisons que le film ne serait pas aussi passionnant à regarder sans le grand Koji Yakusho, acteur vu chez Kiyoshi Kurosawa, Inarritu ou Shohei Imamura, génial et magnifique en Sisyphe des pissotières. 

Perfect Days
Haut et court

Le come-back du jour : Catherine Breillat avec L’Eté dernier (en compétition)

C’est un double retour. Seize ans après sa seule sélection en compétition, avec Une vieille maîtresse, mais surtout après dix ans où des soucis de santé l’ont éloignée des plateaux. Et le temps a beau avoir passé, Catherine Breillat tient bon, haut et fort, le cap de son cinéma. En faisant fi, comme depuis toujours, de la pensée dominante de son époque, de toute “bonne” morale. En questionnant et remettant en cause ce qu’on pensait établi.  Pas par banal esprit de provocation mais dans un geste naturel qui traduit celle qu’elle est profondément. Une vraie jeune fille, Parfait amour !, Romance… Le cinéma de Breillat n’arrondit jamais les angles, bouscule, crée le malaise.

Ce remake d’un film danois resté inédit dans nos salles (Dronningen de May el-Toukhy) ne devrait pas être en reste de ce point de vue là, à écouter les réactions à la sortie de sa projection, entre ceux qui assuraient avoir vu la Palme et ceux qui n’avaient que le mot abjection à la bouche. L’Eté dernier (en salles le 20 septembre) est le récit d’un amour interdit, celle d’une avocate quadragénaire (qui défend notamment les mineurs victimes d'abus) avec son beau-fils de 17 ans. Breillat y filme les corps qui s’entremêlent, les peaux qui rougissent avec une intensité inouïe. Elle propose l’un des plus dérangeants et machiavéliques portraits de femme qu’il ait été donné de voir depuis longtemps, portée par son désir mais refusant de payer quoi que ce soit au nom de celui-ci...

Breillat s’aventure dans un sujet tabou sans chercher à s’en excuser, ni à équilibrer les points de vue. Ca hérisse, ça décoiffe, ça crée un inconfort permanent. Mais ça impressionne aussi, à l’image des interprétations magistrales de Léa Drucker et de Samuel Kircher (le frère cadet de Paul, héros du Règne animal en début de festival). Un retour gagnant.

GALERIE
Pyramide Films

L’événement du jour : Tarantino à la Quinzaine

L’Histoire d’amour entre Quentin Tarantino et la Quinzaine commence par un rendez-vous manqué. En 1992, ce grand fan de la Nouvelle Vague Française envoyait son premier film, Reservoir Dogs à la plus "soixante-huitarde" des sélections cannoises. Boudé par l’équipe de l’époque (mais retenu en sélection officielle, en séance spéciale), Tarantino sera deux ans plus tard palmé avec son deuxième film, Pulp Fiction. Comme pour rattraper le coup 30 ans plus tard, La Quinzaine invitait aujourd'hui le réalisateur à présenter un film mystère au théâtre Croisette.

Accueilli comme une rock star par une salle comble de cinéphiles surexcités, Quentin a dégainé sa carte blanche : Légitime violence (Rolling Thunder en VO, qu'on pourrait retrouver dans le prochain film de QT, The Movie Critic) de John Flynn. Un revenge-movie des années 70 co-écrit par Paul Schrader. "Promis, c’est un grand film Grindhouse, une pépite méconnue et le premier film dont j’ai fait la critique", a assuré Quentin, invitant tout le monde à rugir à chaque fusillade ! Vétérans traumatisés du Vietnam, canons sciés et grand final gore : cette boucherie en 35 mm a tout pour évoquer une pâle copie de Taxi Driver aux plus cinéphiles, mais l’immense majorité de la salle le découvrait pour la première fois.

"On dit souvent que c’est un film fasciste et c’est vrai ! Mais dans ce cas c’est vraiment le plus cool de tous les films fascistes !", débriefera Tarantino après la projection en dissertant avec l’équipe de la Quinzaine sur son sujet favori : la violence au cinéma. "En Europe, on attend des films qu’ils soient moraux, je me range plutôt du côté de ceux qui veulent proposer quelque chose de fun et d’artistique qui électrise le spectateur. Tant pis si tout le monde ne peut pas le supporter !". Un parti-pris cash, balancé comme pour tordre le coup à la profession de foi de la Nouvelle Vague  : "La morale est une affaire de travelling !" Et si, au fond, entre Tarantino et la Quinzaine, c’était aussi une histoire de vengeance ?

La (demi) star du jour : William Fitchner dans Hypnotic

Evidemment, sur le poster on ne voit que Ben Affleck. Hypnotic raconte l’histoire d’un flic dont la fille a disparu et qui, quelques années plus tard, se retrouve face à une série de braquages qui pourraient être en lien avec l’enlèvement de la gamine. Le papa c’est Ben. Machoire carrée, yeux (mouillés) de cocker, roulage de muscles et pétages de plomb  : Affleck est en service minimum. Pourtant, quand démarre le premier braquage c’est un autre acteur qui bouffe l’écran : William Fitchner apparaît et vole le film.

Cheveux gris, élégance menaçante et racée, Fitchner c’est cette silhouette qu’on a vu dans une bonne partie des polars hollywoodiens de ses trente dernières années. Il apparait dans Strange days, Heat ou Dark Knight (où il joue le manager de la banque qui sort les flingues). On l’a aussi croisé dans Armageddon ou Elysium. Mais ici, il incarne le méchant de l’histoire, un type aux pouvoirs psychiques effrayants. Et il est fantastique. Pas besoin de parler, ni de se mettre à hurler : sa seule présence suffit à terrifier. Une lueur inquiétante dans le regard, une diction particulière, grave et lente, des gestes hiératiques. Ce qu’on appelle l’autorité. Le charme très B de ce thriller survolté et nolanien (“je voulais faire un film d’Hitchcock sous stéroïdes”, explique Robert Rodriguez en junket) lui doit énormément. Beaucoup plus qu’à Affleck.

Hypnotic de Roberto Rodriguez
Hypnotic Film Holdings LLC

La vidéo du jour: Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste

Amis dans la vie, Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste avaient déjà partagé les affiches de Deux fils de Félix Moati et Fumer fait tousser de Quentin Dupieux. En 2022, c’est même elle qui lui a remis sur la scène de l’Olympia le César du meilleur second rôle qu’il a obtenu pour Illusions perdues. Dans Le Temps d’aimer, mélo déchirant de Katel Quillévéré, ils campent sur plus de 20 ans, de la Libération aux années 60,  une serveuse dans un hôtel-restaurant du bord de mer et un étudiant riche et cultivé, porteurs l’un et l’autre de secrets enfouis, qui vont peu à peu ressurgir au fil de leur d’histoire d’amour mouvementée. Rencontre avec deux comédiens qui ont le sens du romanesque.


Vendredi à Cannes 

Fin de partie. Pour le dernier jour de la compétition, on aura le choix entre le nouveau Ken Loach, The Old Oak et La Chimera d’Alice Rohrwacher. La star du jour, c’est Jane Fonda qui à le droit à son “rendez-vous” avec le public. Enfin, le film du soir, hors compétition, est la présentation de L’Abbé Pierre - une vie de combat, avec Benjamin Lavernhe dans le rôle-titre.