Prix du jury à Sundance et unanimement loué par la critique américaine, Fruitvale Station porte à l'écran l'histoire d'Oscar Grant, un Africain-Américain de 22 ans abattu par un policier d'une balle dans le dos à la station de Fruitvale à Oakland dans la confusion d'une bagarre, le matin du 1er janvier 2009. Le flic incriminé, arguant qu'il avait confondu son arme et son taser, a finalement été condamné pour homicide involontaire à deux ans de prison et en est sorti quelques mois après. L'affaire, filmée par les caméras de surveillance du métro, puis le verdict du procès ont déclenché des vagues de protestation, parfois violentes, attisées par les images du drame diffusées en boucle sur les chaînes de télé et sur le web.Ryan Coogler, jeune cinéaste de 27 ans originaire d'Oakland, en a tiré un film, acclamé à Sundance donc, acheté par les Weinstein et sorti dans quelques salles vendredi dernier avant une sortie nationale le 26 juillet. Ce drame intimiste mais éminemment politique va devoir se faire une place entre le carton Moi, moche et méchant 2, les robots et monstres de Pacific Rim, l'humour potache Copains pour toujours 2, les films estivaux par excellence programmés pour marcher (même si pour certains les chiffres ne sont pas à la hauteur) et dont le budget promo seul dépasse sans doute largement le coût total d'un film comme Fruitvale Station. Comment se tailler une place dans ce contexte ? Même Harvey Weinstein, considéré comme un magicien du marketing n'aurait pas pu faire mieux que le hasard, qui a voulu qu'une affaire étonnamment similaire à celle racontée par Coogler trouve son dénouement samedi, le week end même de la sortie du film. George Zimmerman, vigile d'une milice de quartier, vient d'être acquitté du meurtre de Trayvon Martin, un lycéen noir de 17 ans abattu le 23 mars 2012 dans le lotissement où vivait son père. S'il n'avait pas nié les faits, l'accusé a plaidé non coupable et le jury a tranché pour la légitime défense, au terme de trois semaines d'un procès retransmis à la télé.Publicité gratuiteLes deux affaires se font échos sur un point essentiel, vieux démon de l'Amérique, la question raciale : dans les deux cas, un Blanc a tiré sur un Noir alors qu'il n'était pas armé. Comme après la mort d'Oscar Grant, de violentes manifestations avaient éclaté suite au décès de Martin, et les autorités craignent de nouveaux débordements suite à ce verdict polémique. Barack Obama, qui avait, à l'époque des faits, effleuré la problématique raciale du drame en déclarant "si j'avais un fils, il ressemblerait à Trayvon Martin", a exhorté au calme, alors que des rassemblements se formaient devant le palais de justice et des manifestations s'improvisaient dans plusieurs grandes villes du pays. En 2012 déjà, l'affaire avait retenti jusque dans les couloirs des studios hollywoodiens, intervenant en pleine promo de Voisins du troisième type, la comédie avec Ben Stiller et Jonah Hill d'abord titré Neighborhood Watch (milice de quartier), rebaptisé The Watch en catastrophe. La Fox avait même fait retirer les affiches et les bandes annonces des salles malgré la distance infranchissable entre ce qu'était vraiment le film et le fait divers. Film qui s'est d'ailleurs planté au box office, le studio restant persuadé qu'il a pâti de cette fâcheuse coïncidence de timing - le public n'aurait pas eu très envie d'aller voir des types déconner sur les milices de quartier au moment où leur légitimité était tragiquement remise en cause.Dans le cas de Fruitvale Station, l'effet pourrait être absolument inverse. L'intense couverture médiatique du procès et de ses retombées ne peut qu'attirer l'attention sur le sujet du film de Ryan Coogler, et éveiller l'intérêt d'un public plutôt enclin, surtout en cette saison, à bouffer du popcorn en se divertissant, mais que l'affaire Trayvon Martin pourrait mobiliser. Sans oublier que beaucoup de médias, comme nous, font le rapprochement et offrent donc une exposition au film au moment où il entame son séjour en salles outre-Atlantique. Notre review de Fruivale Station