George Miller Happy Feet 2
Abaca

Happy Feet 2 revient sur France 4.

A l'occasion de la rediffusion de Happy Feet 2 (avec Brad Pitt qui double une crevette !), ce vendredi soir sur France 4, nous republions ce long entretien du réalisateur George Miller, publié initialement à la sortie du film d'animation, en décembre 2011. Depuis, nous l'avons à nouveau rencontré dans le cadre de la sortie de Mad Max Fury Road, son film événement de 2015.

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Interview du 23 décembre 2011 : Après la première partie de notre entretien avec George Miller, voici la fin de cette interview carrière. Où il est question d'introspection, de neurosciences, de logique industrielle. Et de Mel Gibson.
Par François Grelet

Première : Vous organisez toujours vos franchises de la même façon, le numéro un est tout entier dévolu au héros, le second sur une troupe de personnages...
George Miller :
Oh, c'est vrai. Très juste. Mais c'est comme pour l'opéra et le reste, c'est des choses que j'aurai beaucoup de mal à vous expliquer, puisqu'elles n'ont rien de conscientes... 

Au bout d'un moment je vais finir par ne plus vous croire.
Je vous jure que c'est vrai. C'est l’histoire qui détermine tout ça et... 

Oui je sais, vous êtes tout sauf "self conscious"
Voilà, je suis l’exact opposé de ça… Ce qui me "drive", c’est la curiosité. Depuis toujours. Je me vis comme un privilégié, parce que j’ai débuté à une époque où il n’y avait a priori aucun moyen de faire carrière dans le cinéma en Australie. C’est pour cela, en suivant une sorte de logique de hasard et d’opportunités, que je me retrouve à changer constamment de genres, de continents, de techniques, de logique. Pendant toutes ces années, je ne me suis jamais demandé "comment on raconte des histoires ?", mais plutôt « pourquoi raconte-t-on des histoires ? ». Pourquoi en éprouvons-nous le besoin ? C’est une démarche très différente. 

Et ?
Eh bien, en me passionnant pour les neurosciences, j’ai pris conscience du fait que ce sont les récits qui nous permettent de donner un semblant de cohérence au chaos du monde qui nous entoure. On a besoin d’une histoire collective, pour être en mesure communiquer les uns avec les autres, et cette histoire se fabrique à partir des récits de chacun d’entre nous en tant que personnes, familles, groupes, je ne sais pas moi, clubs de foot, nations, que ce soit sous forme de contes pour enfants, d’articles de journaux, de films, de littérature classique… On est bombardés de récits, partout, tout le temps. Ils nous servent à mettre un peu d’ordre dans tout ce chaos, savoir comment se comporter, comment affronter les joies et les chagrins de la vie. Et ce, depuis l’enfance.

Le président d’Universal qui a traité Babe 2 de pire film jamais produit par Universal, ne doit pas être particulièrement sensible à ce genre de théories, non ?
Pfff. Je n’y fais même pas attention. Ces gens-là pensent que lorsqu’un un film ne marche pas, c’est forcément parce qu’il est mauvais. Alors puisque celui-là n’a vraiment pas marché et couté très cher…. C’est triste pour eux.

Vous n’avez pas envie de lui péter la gueule ?
Ce n’est pas mon genre.

Dans Happy Feet 2, il y a la sous-intrigue de « la crevette qui voulait devenir carnivore » jouée par Brad Pitt. Et ça, vous ne nous ferez pas croire que c’est inconscient, ce serait même plutôt un aveu sous forme d’autodérision.
En fait, j'ai toujours aimé les personnages qui changent, qui sont poussés par le désir de s’explorer eux-mêmes, par une quête introspective qui les envoie à l’aventure. Après tout, c’est ce que j’ai fait moi-même dans ma vie en abandonnant ma carrière de médecin installé pour le cinéma. Mais vous savez, si je résiste à ces idées auteuristes, c’est que je ne cherche pas à "être". Vous connaissez Buck Minsterfuller ? 

Euh, non.
C’est un grand théoricien américain, on lui doit notamment l’invention du concept de "synergie". Il a eu cette formule très forte, qui m’a marqué à vie : "Je ne suis pas un nom commun, je crois bien que je suis un verbe. » J’ai eu la chance de l’entendre dire ça au cours d’une conférence à laquelle j’assistais à la fin des 60’s, ça a changé ma vision du monde. Nous sommes dynamiques, pas fixes. C’est la raison pour laquelle, comme public, nous sommes intéressés par les personnages qui évoluent, ou que les circonstances forcent à évoluer.

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C’est le "mythe du héros" de Joseph Campbell. Que vous avez préfacé.
Voilà. La première fois que j’ai lu l’histoire de Lorenzo, je m’étais fait la réflexion, "tiens, derrière le mélo familial, c’est le mythe du héros". Babe ? Même chose, et c’est dingue, parce que l’auteur du récit original en a écrit plein, des histoires de cochons. C’est la seule qui suit ce canevas et la seule qui m’a intéressé ! Bref, je crois bien que j’ai respecté sans m’en rendre compte cette structure dans tous mes films. Sauf pour les Sorcières d’Eastwick, je dirais. Le seul que je n’ai pas écrit.

Dans ses films de réalisateur, Mel Gibson a lui aussi mis toutes ces idées en pratique. Vous voyez la filiation ?
Bien sûr. Sur le plateau de Mad Max, je m’en étais rendu compte ; Il n’était jamais dans son trailer, toujours sur le plateau à observer, à me poser des questions techniques. J’étais sûr qu’il réaliserait un jour. Son film qui m’a le plus impressionné est Apocalypto… 

Normal, son film le plus mythologique. Le plus "millerien", au fond.
Oui il y a un peu de ça. Un jour Mel m’a remis un award, c’est un gars assez rigolo et il avait écrit un petit speech sur moi vraiment très agréable à entendre, et il a conclu par cette phrase qui m’a vraiment touché : "George sur le tournage de Mad Max je pensais que tu étais mon tormentor. Je me trompais. En fait tu étais tout simplement mon mentor." Ahahah, c’est un as du jeu de mot…

Ca vous rend fier ce rapport Siegel/ Eastwood que vous entretenez un peu tous les deux ?
(Il hésite longtemps, comme gêné). Oui je dois dire que j’en suis assez fier. C’est vraiment un très grand réalisateur.

Dans Happy Feet 2, on a tout le temps l’impression que le grand voyage d’aventure va commencer… Mais en fait, c’est l’inverse qui se produit, au lieu de voir un héros partir à l’aventure au loin, il ramène tout le monde chez lui. L’inverse de tous vos autres films. Et c’est mis en parallèle avec la crevette, personnage plus classique pour vous ?
Oui, c’était conscient. Dans Happy Feet 2, tout est plus immédiat. L’intrigue se passe sur quoi, trois jours ? Je voulais travailler différemment, tenter de raconter une histoire qui ne serait pas épique dans le temps mais dans les échelles, passant de l’infiniment grand à l’infiniment petit. 

Ce qui vous permet de creuser une autre de vos obsessions, la dialectique entre l’individu et le collectif.
C’est un thème qui me fascine. Ces pingouins organisés en communautés gigantesques ne survivent que par la force du nombre, en se réchauffant les uns les autres. Sur cette planète, c’est le cas de presque toutes les espèces, à l’exception peut-être des orang-outans, qui sont de vrais solitaires. Nous autres, humains, survivons grâce à la chaleur du collectif même si, dans le même temps, nous avons conscience de notre individualité. On oscille continuellement entre notre besoin de nous fondre dans la masse et notre aspiration à en sortir. La nature de la culture de la célébrité ou le fonctionnement de Facebook sont une manifestation très claire de ce phénomène.


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