Les Choses de la vie 1970
Compagnie française de distribution cinématographique

Le film avec Romy Schneider et Michel Piccoli fête ses 50 ans cette semaine.

A l'occasion du 50e anniversaire des Choses de la vie, nous mettons en ligne notre dossier spécial consacré au chef-d'oeuvre de Claude Sautet publié dans le Première Classics n°4 (avec Les Dents de la mer en couverture). Le sujet principal est à lire ici, et voici notre entretien avec Philippe Sarde, le compositeur du film, qui a travaillé étroitement avec le cinéaste.

A quel stade de la production des Choses de la vie rencontrez-vous, pour la première fois, Claude Sautet ?

En 1969, alors que le film est déjà tourné et pré-monté. J’ai 16 ans et c’est l’un des producteurs, Jean Bolvary, qui connaît mon père et m’appelle. Il n’ignore pas que je veux devenir metteur en scène, mais il sait également que, bien que très jeune, je compose, ayant fait le Conservatoire, avec une mère chanteuse d’opéra et Georges Auric pour parrain. Il me dit : « Cela t’intéresserait de faire la musique des Choses de la vie, que je co-produis ? » Je ne le lui avoue pas, mais j’avais lu le roman de Guimard, que je trouvais inadaptable. Je demande alors à Bolvary le nom du metteur en scène. Sautet, qui n’a plus réalisé de films depuis longtemps, ne fait pas partie de mon paysage. Les interprètes ? Romy Schneider n’est encore, pour moi, que Sissi. Reste Michel Piccoli, que je connais pour des seconds rôles, et que j’estime. Bolvary propose que Sautet vienne chez moi, le lendemain à 19h. Entre-temps, je cherche à savoir comment le récit des Choses de la vie a pu être transposé à l’écran. Je trouve, dans la revue Le technicien du film, un résumé du scénario de Dabadie qui, à travers l’évocation de l’accident, m’éclaire sur son adaptation et m’inspire. Revenu à la maison, j’écris une quinzaine de mesures. J’ai, déjà, le thème du film…

Sur quelle tonalité ? Qu’est-ce qui vous inspire ?

Le climat. J’écris en La mineur. C’est une tonalité qui amène bien le drame. La mélodie, dessus, pouvant être celle d’Hélène-Romy Schneider.

Comment se passe votre entrevue avec Sautet ?

Je le reçois en pyjama. Il est en complet veston. Très vite, je suis touché par ses yeux bleu, remplis d’émotion. Il m’affirme qu’aucun compositeur ne lui convient et me dit : « Tant qu’on n’a pas trouvé, on cherche toujours. » Je lui raconte que j’ai écrit deux chansons pour Régine, mais ne lui parle pas des deux courts-métrages que j’ai réalisé. Finalement, je me mets au piano pour lui jouer les quelques mesures du thème que j’ai trouvé. Il est assis à ma droite, en retrait. Et je n’entends aucune réaction. Je me retourne et vois, alors, Claude en larmes, qui me dit : « C’est exactement cela que je recherche ! Vous êtes libre demain ? Je vous organise une projection du film, à Epinay. »

Votre collaboration démarre, pour ne plus s’arrêter. Plus tard, Sautet dira de vous : « C’est un vrai cinéphile. Paradoxalement, je suis plus musicologue. Cela créé un équilibre entre nous. La cinéphilie de Philippe m’a été aussi précieuse que ses qualités musicales. » De quelle manière ?

Par une collaboration à tous les niveaux, en amont, Les Choses de la vie étant le seul de ses films où je suis arrivé après. Ainsi, à l’issue de cette première projection à Epinay, je dis à Claude : « Qu’est ce que Romy Schneider est belle ! », mais j’ajoute aussitôt que l’accident n’est pas ‘emmené’ comme il devrait l’être ; ni au générique qui n’est pas encore monté, ni via les plans au ralenti de l’accident sous forme de flash-backs qui, bien qu’écrits par Dabadie et tournés, avaient été enlevés par Claude au montage. D’où une absence d’empathie avec le personnage de Piccoli. En mettant le doigt sur ce qui ne va pas et sur la clef de la narration, j’interpelle Sautet. Lequel, convaincu, demande immédiatement à sa monteuse Jacqueline Thiédot de réintégrer les flash-backs. Puis, il me dit que j’ai un mois pour écrire la totalité de la musique…

Pourquoi faut-il voir Les choses de la vie

Qui sont vos modèles parmi les compositeurs de films ?

Il y a les Français : Auric, Misraki, Van Parys, Cloërec. Puis les Américains, Herrmann et Mancini. Enfin, mon ami François de Roubaix. Je veux, comme eux, faire avec ma musique un ‘film parallèle’. Je désire aussi changer de registre d’un film à l’autre. Mais je me demande, à l’époque, si l’on va m’y autoriser…

Que vous autorisez-vous pour Les Choses de la vie ?

Un orchestre symphonique de 70 musiciens, et une utilisation des cordes extrêmement divisées. J’applique un mélange cordes, cors et piano qui fonctionne très bien. Pour la brève scène où l’on voit Piccoli et Romy à vélo, j’use d’une petite formation, à base de cordes et de flutes, en m’inspirant de Vivaldi.

Comment vient l’idée de La chanson d’Hélène, qui n’est pas intégrée dans le film ?

Avec Dabadie, nous nous entendons pour tirer une chanson du thème, Jean-Loup écrivant le texte. Puis, l’on va voir Romy qui, enthousiaste, demande : « Quand est-ce qu’on enregistre ? » Et l’on se retrouve, très vite, aux studios Barclay. Je supprime les cordes, fait mettre des bois, un piano, une harpe. Romy et Michel Piccoli enregistrent en une prise. Claude, présent lors de la séance avec Dabadie et moi, ne pipe mot. Il faut savoir qu’il refusait de mettre des chansons dans ses œuvres par refus du sentimentalisme et par crainte qu’on rapproche ses films de ceux de Lelouch ! Or, il n’y a nulle trahison dans mon esprit. Mais peut-être que, s’il n’y avait pas eu ce respect entre nous, cela aurait emmerdé Claude que le public associe davantage Les choses de la vie à la chanson de Romy qu’au film lui-même…

Avez-vous été pour Sautet ce que Delerue fut pour De Broca ; celui qui, par le lyrisme ou la truculence de sa musique, révélait les sentiments d’un cinéaste trop pudique ?

Certainement. Il me laissait aller, sachant que mon émotion n’était jamais gratuite. Et, pour prendre un exemple, je pense que si je n’avais pas été aussi radical sur Max et les ferrailleurs, en virant les cordes et les pianos pour les remplacer par des cuivres et des bois à la Stravinsky, Claude n’aurait pas osé être aussi noir, davantage même que dans le roman de Claude Néron.

Avez-vous conscience que la musique des Choses de la vie symbolise, aujourd’hui, la France des années Pompidou dont la nostalgie fait écho à la mélancolie solaire de votre thème ?

Peut-être. Mais s’il y a une chose à laquelle je n’ai jamais pensé, c’est à ça ! Je laisse les autres s’interroger ; ce constat, c’est du chinois pour moi. Même si l’émotion, liée au film et à la voix de Romy, est toujours là…

Propos recueillis par Olivier Rajchman.