Best of 2010's
Universal / Pathé / Netflix / Warner Bros.

Des professionnels du cinéma triés sur le volet font le bilan de la dernière décennie.

C’était LA grande question posée par Première dans son hors-série "C’était les années 2010", publié fin 2019 et dressant le bilan de dix ans de cinéma : « De A Serious Man, sorti en janvier 2010, à The Irishman, en novembre 2020, quels sont les cinq films que vous retenez de cette dernière décennie ? ». Cinéastes, producteurs, jeunes pousses ou vieux briscards du septième art… Voici leurs réponses :

Bong Joon-ho, réalisateur
"Cinq films ? Hmmmm. Heureux comme Lazzaro d’Alice Rohrwacher, très impressionnant, très beau. L’Inconnu du lac. J’avais beaucoup aimé Rester Vertical mais L’Inconnnu du lac m’a encore plus secoué. C’est une vraie merveille : peu de gens savent mettre en scène la vitalité sexuelle comme ça. J’aime beaucoup le cinéma d’Alain Guiraudie, parce qu’il va à l’essentiel, il n’y a pas de gras. Avant que nous disparaissions de Kiyoshi Kurosawa m’avait surpris. J’adore ses films d’horreur, son génie abstrait et ses bizarreries plastiques. Il y aussi The Strangers de Na Hong-jin qui est un chef-d’œuvre. Et… je dirais Fantastic Mr Fox. Je le revois de temps en temps. Sa tonalité jaune m’apaise beaucoup. Je ne me concentre pas sur le film, je lance juste le DVD, et ça me fait un bien fou."

Arnaud Desplechin, réalisateur
"J’ai bien compris que l’intitulé de votre question était une plaisanterie, et je suis désolé d’éventer la blague. Mais A Serious Man est l’un de mes frères Coen préférés, et The Irishman m’a renversé. C’est pour moi un film du niveau de Raging Bull. Une méditation sur la mort admirable. Le dernier Tarantino, Once upon a time… in Hollywood, m’a bluffé. J’étais admiratif de la manière dont il a embrassé l’Histoire de l’Amérique et du monde avec Django, Inglourious Basterds et même Les 8 Salopards, mais là, le fait qu’il s’attaque à Hollywood, que ce soit aussi personnel… Ce film est pour moi un phare dans l’année. Sinon, j’ai beaucoup aimé Julieta d’Almodovar (je me souviens que j’étais le seul dans le jury cannois) et le dernier, Douleur et Gloire, qui m’a bouleversé. En vous parlant, je constate qu’on termine cette décennie sur des notes d’émotions fabuleuses. De grands réalisateurs, des auteurs très différents, livrent des films très personnels et très émouvants. C’est une décennie où le cinéma d’auteur américain a été bouillonnant et ça rejoint la récente polémique Marvel contre Scorsese. L’industrie américaine a produit des films trop formatés depuis quelques années, et Scorsese l’a parfaitement résumé : la plupart des blockbusters ressemblent à des parcs d’attractions. Dans les années 90, c’était dans le blockbuster que l’on pouvait trouver des promesses de cinéma, que les auteurs proposaient des formes innovantes ; plus maintenant. Il m’en manque un ? P.T. Anderson ! Phantom Thread, ex-æquo avec The Master."

Vincent Maraval, co-fondateur de Wild Bunch
"Par honnêteté, j’ai choisi des films dans lesquels Wild Bunch n’était pas impliqué. Je commence par Mektoub my love, un film en état de grâce total, presque plus lumineux et éclatant que La Vie d’Adèle que nous avions produit. Phantom Thread est pour moi absolument parfait alors que je ne suis pas un grand fan de PTA ; le non-dit y est très cinématographique. The Tree of life m’a retourné. Je me souviens qu’avant sa projection à Cannes, on se posait plein de questions sur le retour de Terrence Malick, d’autant que la sortie avait été reportée d’un an. Même chose pour Mad Max : Fury Road de George Miller, le film le plus punk de la décennie par un réalisateur de 70 ans dont on n’espérait plus rien. Je terminerais avec Le Conte de la princesse Kaguya, petite merveille qui compile tout ce qu’on peut faire de mieux en animation. Je me souviens d’une scène où la princesse court et enlève ses vêtements, scène qui se finit quasiment au fusain. Comme si Isao Takahata revisitait l’animation en un seul film."

David Robert Mitchell, réalisateur (It Follows, Under the Silver Lake…)
Post Tenebras Lux
Once Upon A Time In Hollywood
Drive
Somewhere
Aquarius

Et mon meilleur souvenir de projection ? Enter the Void. Dans un cinéma avec un sound system à fond. Un putain de grand film !

László Nemes, réalisateur (Le Fils de Saul, Sunset)
"Désolé de gâcher la fête, mais je n’en vois que deux : Les Hauts de Hurlevent, d’Andrea Arnold, et La Dernière Piste, de Kelly Reichardt. Deux films fragiles, courageux, qui proposent des points de vue très spécifiques et ont vraiment une âme. Je n’ai pas envie d’en citer d’autres, parce que les dix dernières années n’ont pas été très brillantes du point de vue de la réalisation et de la prise de risques."

Virginie Efira, actrice 
"Une séparation
, car Asghar Farhadi y pose des questions morales sans jamais indiquer où se trouverait le bien ou le mal, en explorant tout ce qui fait l’être humain et en particulier ses arrangements avec lui- même et sa conscience. Trois souvenirs de ma jeunesse, car je me demande comment on arrive à faire un film aussi dense, vivant, maîtrisé, comme s’il touchait directement à l’inconscient, à ce qui nous constitue et qu’on ne pourrait nommer. Gone Girl, car je suis folle des films qui arrivent à placer tout un champ métaphysique ou philosophique au sein même de leur histoire. Le Garçon et la bête, car j’ai rarement vu une œuvre allant aussi loin dans ce qu’elle ouvre comme perspective de perceptions du monde et, donc, comme liberté. Et Ma vie de Courgette, qui réussit à saisir l’essence de la vie et du monde dans ce qu’elle a de plus âpre et de plus beau."

Michelle Halberstadt, distributrice (ARP Sélection)
"Cinq, mais c’est trop peu ! Alors, dans la désordre : Les Bêtes du Sud sauvage, Boyhood, Mommy, Phantom Thread et La Vie d’Adèle."

Bill Mechanic, producteur (Tu ne tueras point)
"Je triche et je vous en donne un de 2009 pour commencer. La version suédoise de Millénium avec l’incroyable découverte de Noomi Rapace et l’étrangeté du cadre, des décors, des acteurs… Ensuite, Démineurs. Là aussi je suis hors délais, mais le film a été selon moi un tournant majeur à Hollywood. Sinon Logan parce que Mangold tirait le film de superhéros vers le cinéma seventies, Birdman, pour ses audaces techniques et la puissance de ses thèmes, Tu ne tueras point, pour des raisons évidentes et Black Panther parce que c’est un film passionnant et le réveil des consciences dans le divertissement."

Jan Kounen, réalisateur
"Rohhh c’est dur comme question… (une longue pause, puis d’un coup) The Social Network, La Danza de la realidad, Gravity, Interstellar et Cloud Atlas ! Mais c’est trop difficile de choisir, j’ai même pas la place de mettre The Tree of Life ! Vous acceptez les top 6 ?"

Propos recueillis par Thierry Chèze, Frédéric Foubert, Gaël Golhen, François Grelet et Christophe Narbonne.