Lone Ranger
Disney

On reconnait bien le style du réalisateur de Pirates des Caraïbes !

Au sein de la hiérarchie des faiseurs de blockbusters, la cote de l’ancien punk Gore Verbinski a toujours été assez élevée en raison de ses tendances à la transgression et aux débordements excentriques. Et si l’on a été un peu gavés par les Caraïbes, on peut trouver assez excitant de transposer cet univers dans celui du western. D’autant que Lone Ranger contient le meilleur des deux mondes, avec la même approche « kidult » et gentiment subversive que dans Rango, dont on avait pu apprécier la violence cartoonesque, les éclairs surréalistes et les méchants consensuels.

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Un héros vierge
En Europe, le Lone Ranger est quasiment inconnu, et cette virginité joue en sa faveur. Rappelons que le héros masqué est né en 1933 (ce qui fait de lui un contemporain de Superman) dans un feuilleton radiophonique si populaire qu’il a été décliné par la suite sous les formes les plus variées, dont quelques adaptations ciné, mais surtout une série télé de 220 épisodes qui a duré de 49 à 56. Comparé à d’autres héros de blockbusters, Lone Ranger part avec le considérable avantage de ne pas être plombé par son hérédité. Il n’a pas été l’objet comme Superman de multiples reboots dont le dernier en date est une tentative ultra sérieuse de réactualiser un personnage créé pour conforter la fierté nationaliste d’un public infantile.

Une histoire pour enfants
A côté, le ranger solitaire résiste bien mieux au temps, et dans son interprétation du personnage, Verbinski met les cartes sur table dès le préambule : à San Francisco dans les années 30, un très vieil Indien (Johnny Depp recouvert de latex fripé) raconte la genèse du héros masqué à un gamin en panoplie de cowboy. L’avertissement est clair : il s’agit d’une vieille histoire pour enfants - ce qui n’empêche pas les adultes d’y trouver leur compte aussi. En plus de structurer le film en flash back, le procédé permet aussi de remplir les éventuels trous narratifs pour satisfaire les maniaques de l’analyse logique.

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Les grands moyens
Conçu comme le pilote d’une possible franchise, Lone Ranger remonte assez fidèlement aux sources de l’histoire originale : après une embuscade meurtrière, le seul survivant d’un groupe de Texas rangers est recueilli par un indien solitaire. A eux deux, ils s’associent pour réparer les injustices qui leur ont été faites, et plus généralement, pour empêcher les nuisibles de nuire. Verbinski et ses scénaristes ont beaucoup brodé autour du thème, utilisant le chemin de fer pour relier les principales péripéties de ce premier chapitre, à commencer par un colossal déraillement qui à lui seul a dû coûter de quoi réaliser plusieurs films d’auteur français. Les connaisseurs attendront le feu d’artifice final (un duel de trains sur deux voies parallèles en clin d’œil à Spielberg) pour entendre résonner l’ouverture de Guillaume Tell, qui servait de générique au feuilleton - mais qui en Europe évoque davantage la scène de sexe express dans Orange mécanique.

Les acteurs font le show
Entre temps, et bien que situé au Texas, le film nous promène de la Californie au Nouveau Mexique dans quelques-uns des plus beaux sites naturels de la région, comme en hommage aux plus grands westerns classiques, et donne toute latitude aux acteurs pour assurer le reste du spectacle. Dans le rôle titre, Armie Hammer fait un héros candide avec suffisamment de charme pour tenir tête à Johnny Depp, qui aurait facilement pu l’éclipser dans un rôle ostentatoire d’Indien taciturne et dérangé. Les méchants sont très exagérés, à l’image de William Fichtner, sale et grimaçant comme dans un western spaghetti. Mais plus que leur apparence, ce sont leurs motivations qui les rendent intéressants. Sous la direction d’un malfrat qui se cache sous les habits respectables d’un grand entrepreneur (Tom Wilkinson), ils monopolisent une technologie de pointe – le chemin de fer - pour étendre leur contrôle sur l’état tout entier, exploitant la mine d’argent volée aux Indiens pour financer leurs projets. Dans les années 30, le public pouvait facilement associer les gangsters aux spéculateurs responsables de la crise qui dans la vraie vie, ravageait l’Amérique et le monde. Aujourd’hui, le contexte n’est pas loin d’être le même, et ce film donne l’occasion de détester ces crapules avec d’autant plus de passion.
Gérard Delorme