Queen & Slim : Bonnie & Clyde d’aujourd’hui [Critique]
Universal

Passionnante réflexion sur la figure du héros noir américain des temps modernes.

C’est évidemment un hasard du calendrier. Mais pas seulement. Ce premier long métrage de Melina Matsoukas, réalisatrice de clips réputée (pour Beyoncé, Rihanna, Lady Gaga, Katy Perry...), dialogue en effet à distance avec un autre film phare de ce mois de février, Le Cas Richard Jewell de Clint Eastwood. Tous deux se penchent en effet sur la figure du héros américain moderne. Comme deux faces d’une même pièce, d’un même pays divisé comme jamais depuis l’accession au pouvoir d’un Donald Trump en quête d’un deuxième mandat. Un pur redneck (le cœur de l’électorat qui a massivement voté Trump voilà quatre ans), sauveur de vies à l’occasion d’un attentat, pourtant broyé par une machination englobant erreurs du FBI et emballement médiatique chez Eastwood ; un couple de Noirs américains, à peine sortis de leur tout premier rendez-vous, forcé d’entamer une cavale après avoir abattu pour se défendre un policier particulièrement agressif lors d’une arrestation suivant une infraction mineure de circulation chez Melina Matsoukas.

DOMMAGES COLLATÉRAUX

Car, comme chez Eastwood, ce n’est pas le geste initial qui compte dans Queen & Slim mais tous les dommages collatéraux qu’il suscite en racontant par là même l’état profond du pays. En l’occurrence, ici, la fuite à travers les États-Unis de Slim, employé de magasin (Daniel Kaluuya aussi remarquable que dans Get out), et de Queen, avocate de la défense criminelle (Jodie Turner-Smith, saisissante révélation), fuite décidée par cette dernière alors que le premier souhaitait spontanément se rendre aux autorités, pour échapper à une arrestation qu’on imagine pourtant inéluctable. Car Queen sait en son for intérieur qu’à cause de leur couleur de peau, on ne leur accordera aucune des circonstances atténuantes auxquelles ils ont droit. Sauf que les images des caméras de surveillance, qui, en montrant en plein écran le coup de feu tiré par Slim, prouvent leur culpabilité, vont se propager bien au-delà du simple cercle policier. Elles vont devenir virales à la télé et sur la toile et provoquer tout au long de leur périple, forcément riche en rencontres et en rebondissements, le soutien d’une immense majorité de la population noire qui voit en eux le symbole des violences impunies dont ils sont victimes quasi quotidiennement. Ces hommes et ces femmes, de toute génération, vont tout faire pour qu’ils ne soient jamais retrouvés et inquiétés par la police qui les pourchasse.

DIVERSITÉ

Avec la sortie concomitante de La Voie de la justice, on perçoit que les choses changent à Hollywood. À petits pas, certes. Lentement mais sûrement. Dans la foulée de Fruitvale Station, Moonlight et autres Sorry to bother you, chacun dans leur style, des cinéastes de couleur s’emparent de récits mettant en avant des personnages noirs américains de manière forcément originale par rapport au regard blanc longtemps dominant sur ces questions. On parle de diversité au sens majeur du terme. De films qui transcendent leurs sujets – majoritairement politiques et sociaux – par des visions de cinéaste. Pas d’une application à marche forcée d’une politique de quotas qu’aurait entraînée le mouvement #blacklivesmatter. Ainsi, ce Bonnie et Clyde des temps modernes mène de front suspense, politique et love story en les entremêlant avec une virtuosité jamais prise en défaut. Il y a du lyrisme revendiqué dans chaque image de Melina Matsoukas, une esthétique née de son travail dans le clip mais au service de son récit et de ses personnages flamboyants. Et surtout, elle ne cherche pas à ménager la chèvre et le chou, à réaliser une oeuvre revendiquant l’objectivité. Queen & Slim est un film de parti pris. De héros. Avec leurs faces lumineuses et sombres. À l’image du pays où ils vivent.