The Happy Prince
Wilhelm Moser

L'acteur, devenu réalisateur, nous parle d'Oscar Wilde, de Mel Gibson, d'horreur italienne et de la série télé Le Nom de la rose où il jouera un inquisiteur.

The Happy Prince, actuellement en salles, raconte les derniers mois de la vie d'Oscar Wilde, joué par Rupert Everett : c'est aussi le premier film réalisé par l'acteur lui-même. Nous avons rencontré Rupert, qui nous a parlé avec franchise des difficultés à réaliser un film, de son horreur face à La Passion du Christ de Mel Gibson, de la future série télé Le Nom de la rose...

Vous avez été fasciné toute votre vie par Oscar Wilde, vous l'avez même incarné au théâtre. En racontant sa mort, est-ce que vous lui dites adieu ?
Non... J'espère que c'est un nouveau commencement pour moi, en tant que réalisateur. (sourire) Je crois que personne n'a vraiment raconté l'histoire de Wilde telle qu'elle s'est déroulée. Sa vie tragique. Ou comment expliquer ce qu'on peut faire subir à un homme au nom de la société, juste parce qu'il est homosexuel... L'injustice et la cruauté. Son histoire est bouleversante et inspirante. Wilde était un homme extraordinaire dans la défaite. Il fréquentait les voleurs, les pauvres, les prostituées, il leur donnait des spectacles plutôt qu'aux riches bourgeois. He didn't give a fuck, il appréciait la vie. Il a réussi à ne pas être victime de sa propre tragédie. Et au fond, je trouve que The Happy Prince raconte la naissance du mouvement gay. On pense beaucoup à Jésus...

Dans votre film, vous faites effectivement un parallèle très explicite entre la fin d'Oscar Wilde et celle de Jésus.
Wolde est devenu catholique sur son lit de mort, mais la religion le fascinait. Surtout le Christ. Dans De profundis (sa lettre écrite en prison à son amant, NDLR), il a écrit des choses magnifiques sur Jésus... Tous les séminaristes devraient étudier Wilde ! C'est merveilleux et inspirant. Il a réalisé que pour atteindre l'illumination ou la résurrection il fallait terriblement souffrir, passer par la passion et la crucifixion. Mon film, c'est La Passion de Wilde. J'ai toujours été horrifié par La Passion du Christ de Mel Gibson.

Pourquoi avez-vous été horrifié ?
Parce que c'est un film d'une violence absolument impitoyable. Beaucoup trop impitoyable. Il n'y a aucun... romantisme, disons. Jésus y passe son temps à se faire bastonner. C'est très manipulateur.

Comment avez-vous trouvé dans The Happy Prince l'équilibre entre réalisme et maniérisme ?
Ce n'est pas évident. Oscar Wilde lui-même écrivait avec beaucoup d'exagération. Ce qui a amené beaucoup d'interprètes à surjouer du Wilde puisqu'il surécrivait. (rires) Il ne fallait pas être trop exagéré, trop théâtral, trop petit malin... Ma boussole c'était le cinéma des frères Dardenne. La façon dont ils filment, leur grammaire de cinéma, en résumé. Mais je voulais aussi une grande profondeur de cinéma, à la Visconti. Mettre en scène de grands décors dans lesquels balader la caméra... Comme je vous l'ai dit, ce n'est pas évident. (sourire) J'ai adoré me diriger. J'adore travailler avec moi. Je prépare ce film depuis dix ans. Réunir le financement a mis du temps. C'est une bonne chose puisque j'ai pu connaître mon projet par cœur. Et puis, ce film est arrivé au bon moment dans ma vie, je me sens tellement mieux aujourd'hui qu'il y a dix ans...

Comment jugez-vous l'expérience de réalisateur ?
Tout a été très difficile. Nous n'avions pas assez de temps. Si nous ne terminions pas une scène en une journée, c'était fini. On ne pouvait plus revenir sur cette séquence. Et je n'étais pas en très bons termes avec mes producteurs. Heureusement qu'il y avait Colin Firth. Je n'aurais jamais pu faire le film sans Colin. Sans sa présence on n'aurait jamais eu le financement. Il a eu ce geste d'amitié incroyable. Personne ne fait ce genre de choses très souvent aujourd'hui. Il fallait que je mette tout en mouvement, sans cesse. La scène du café a été très éprouvante à installer : une chanteuse, du play-back, une scène de bagarre, des danseurs, des dizaines de figurants... Et une seule journée pour utiliser tout ça. Très stressant.

On sent de l'urgence dans votre film. Un sentiment d'être pressé par le temps qu'il reste.
Je crois que ce n'est pas très bon si vous pouvez le sentir. Ceci dit, j'ai un seuil de tolérance très bas à l'ennui au cinéma. Il faut que les choses bougent, avancent constamment, sinon je m'ennuie. J'avais écrit une scène où Wilde sortait du tribunal, et le marquis de Queensbury faisait une harangue à la foule rassemblée sur la défense de la famille et des valeurs morales. Des prostituées dansaient à cette occasion -elles pensaient que les gays allaient leur piquer leur boulot, en fait- et la foule renversait le fourgon qui transportait Oscar Wilde... Mais on n'avait pas le budget.

Donc, pour vous, le film raconte les débuts du mouvement gay ?
Oui, c'est pour cela qu'à la fin du film j'ai rappelé que Wilde avait été réhabilité de son crime seulement l'an dernier, en 2017... Enfin, pas réhabilité, mais "pardonné", ce qui signifie qu'il a été lavé de son crime. Mais comme aujourd'hui l'homosexualité n'est plus un crime, pourquoi a-t-il été "pardonné" ? On lui doit des excuses.

Il faut qu'on parle d'un de vos meilleurs films : le film d'horreur italien Dellamorte Dellamore. Qu'en pensez-vous, avec le recul ?
Pour moi, c'est un plus grand succès que mes films hollywoodiens. Michele Soavi a fait un film d'une très grande beauté. Tout était artisanal, fait main. Tout était fait sur scène (en français). C'était choquant, bizarre, émouvant... Très étrange, tout cela. C'est l'un des films dont je suis le plus fier. Tiziano Sclavi, l'auteur du roman, a créé le personnage de Dylan Dog (BD italienne d'horreur sur un investigateur de monstres) d'après moi. Et je ne l'ai rencontré qu'une seule fois, c'est un ermite. J'ai surtout travaillé avec Soavi, évidemment.

Est-ce que Sclavi vous avait demandé la permission d'utiliser votre apparence ?
Non. Jamais. A un moment de ma carrière où je n'avais plus un centime, je me suis même posé la question de leur faire un procès, ah ah ! En Italie, Dylan Dog a eu énormément de succès à la fin des années 80 et au début des années 90. J'étais une vraie star là-bas. Aujourd'hui, ça revient un peu. Dario Argento a écrit un numéro spécial de Dylan Dog. J'ai toujours espéré qu'on puisse faire un Dellamorte Dellamore 2, mais ça ne s'est jamais fait.

Vous jouez dans la série télé Le Nom de la rose, d'après le roman d'Umberto Eco. Où en est le projet ?
Nous avons terminé le tournage, et je crois qu'ils sont encore dans le montage. Je pense qu'ils veulent la diffuser en fin d'année prochaine.

C'est une bonne idée de vous imaginer en Bernardo Gui, en inquisiteur dominicain impitoyable (joué par F. Murray Abraham dans la version de Jean-Jacques Annaud)...
C'était génial à jouer. Un inquisiteur persuadé d'avoir tout le temps raison... J'ai eu le job grâce au chef opérateur John Conroy, qui a éclairé The Happy Prince. On dînait ensemble après le tournage, et je me plaignais de ne pas avoir de boulot. Il m'a dit qu'il faisait Le Nom de la rose, et que je devrais jouer Bernardo "parce que c'est le meilleur rôle". (rires) Alors j'ai appelé la production pour leur demander le rôle. Ils ont dit non. Je suis revenu à la charge et j'ai eu le rôle. Et voilà !

Vous savez ce qu'a dit Umberto Eco, l'auteur du Nom de la Rose ? "Je pourrais lire la Bible, Homère et Dylan Dog jour après jour sans m'ennuyer."
C'est vrai ? Non... C'est génial. J'aurais aimé savoir ça avant de tourner dans Le Nom de la Rose. C'est formidable. J'ai tous les Dylan Dog chez moi.

Vous devriez leur demander de l'argent quand même. Pour financer votre prochain film.
Vous savez quoi ? C'est une excellente idée.