Michael Chiklis
Franck Castel/ABACAPRESS.COM

L’acteur de 60 ans revient dans Hotel Cocaine, série de Chris Brancato en compétition à Séries Mania. On discute avec lui de sa carrière ciné, de Martin Scorsese, d’une plaque de cuisson et bien entendu du dernier épisode de The Shield.

Donc vous voilà à nouveau dans la peau d’un flic… Ça deviendrait presque une habitude.
(Il sourit) J’ai trouvé une réponse type à cette question : si Monet a continué à peindre des fleurs toute sa vie, c’est parce qu’il y trouvait une grande variété, et qu’il y avait toujours quelque chose de différent qui l’intéressait. Et puis si je me donnais comme règle de refuser systématiquement de jouer les flics, je ferais une croix sur 50 % des rôles existants… Mais pour tout vous dire, je n’avais vraiment pas particulièrement envie d’incarner encore un policier à ce moment-là. Quand on m’a proposé le projet, je n’avais même pas le scénario. C’est le nom de Chris Brancato qui m’a intrigué : très bon showrunner, un mec intelligent, dont j’avais aimé le travail sur Narcos. Et au casting, il y avait aussi Danny Pino. J’adore Danny, il se donne à fond et on avait fait du super boulot ensemble dans The Shield. Il y a cette scène où je le torture et je lui écrase le visage sur une plaque de cuisson, un truc de fou, hyper violent. Il a joué ça comme un champion, mais ça nous a tous perturbés.

Le soir, Walton Goggins m’a appelé, horrifié : « Mais qu’est-ce qu’on vient de faire, mec ? » Exactement comme Shane parlerait à Vic dans la série. Je lui ai dit : « On vient de tourner une scène d’une série. Rentre chez toi, prends une douche et oublie tout ça. » On était secoués. Un jour, Martin Scorsese est venu me taper sur l'épaule à une cérémonie de prix : « La scène où tu brûles le visage de ce type sur la plaque, comment vous avez fait ça ? C’est le truc le plus violent que j’ai jamais vu ! » Euh, vraiment, Marty ? C’est toi qui me dis ça ? (Rires.) Donc je lui ai expliqué et il a répondu : « Je vais vous le piquer ça, c'est génial. » Et il s’est barré en se parlant à lui-même (Rires.) Ne soyez pas surpris si un jour il reprend le concept dans l'un de ses films !


 

J’ai revu l’épisode final de The Shield pour préparer cette interview, et ce n’est quand même pas loin d’être la conclusion parfaite.
Je suis complètement d’accord. Et je ne dis pas ça pour me lancer des fleurs, tout vient de Shaw Ryan [le showrunner et créateur de la série]. Le seul truc que j’ai fait, c’est l’aider à cocher tout ce que cette fin ne pouvait pas être. On a commencé à en parler trois ans avant cet épisode final. Je ne voyais pas Vic finir en roi du monde, avant de se faire flinguer à la dernière minute. Pas plus qu’un plan de lui derrière les barreaux, avec la porte qui se ferme sur sa tronche… Et un jour, Shawn m’appelle et me demande de venir le voir chez lui : « Je l’ai. » La perfection. C’est une série sur l’ambiguïté et l’ambivalence. Vic ne supporte pas la tiédeur et termine littéralement dedans : c’est désormais un type terne avec un costume terne, dans un bureau terne. Il a tout perdu, mais il s’en est quand même sorti… en quelque sorte. C’est très amer. Cependant, cette fin peut laisser imaginer que la bête en lui se réveillera un jour. Et c’est d’ailleurs la putain de question qu’on me pose tout le temps : « Quand est-ce que vous allez faire la suite ? » Et ça n’arrivera pas, de ce que je comprends. Mais il ne faut jamais dire jamais : on a discuté de scénarios possibles avec Shawn, et ce serait super.

Vous pourriez presque partir de cette dernière scène et faire une version dark de The Office, avec Vic en Michael Scott tortionnaire de l’open space. 
Ah ah ah, et on ferait des regards caméra ? Ah ah ! Génial, je n’avais pas pensé à ça !

Quand The Shield s’est terminée, j’étais persuadé que vous alliez devenir une star de cinéma. Et puis ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça… Pourquoi ?
Question difficile. Ce n’est pas comme si j’avais pu y faire grand-chose… On ne m’a tout simplement pas proposé les rôles qu’il fallait. Il arrive qu’un acteur laisse une image indélébile dans l'esprit des gens et c’est difficile pour eux de s'en défaire. Ça m’est arrivé à plusieurs reprises dans ma carrière, et je continue encore et encore à me battre contre ça. C'est une frustration, surtout que je sais très bien ce dont je suis capable. Et c’est très difficile de ne pas avoir l’opportunité de le prouver. Quand les gens me disent sur Twitter ou dans la vraie vie que je serai « toujours Vic Mackey » à leurs yeux, ben ce n’est pas un compliment. J’apprécie qu’on aime The Shield et la façon dont j’ai joué le personnage, mais me dire que je serai à jamais Vic, quoi que je fasse, ce n’est pas me faire honneur. Quand on demandait à mon pote Tom Brady [superstar du football américain, aujourd’hui retraité] quelle était sa saison préférée, il répondait toujours : « La prochaine. » C’est comme ça que je vis ma vie. 

The Shield
DR

À vous entendre, on a presque l’impression que vous entretenez une relation d’amour-haine envers le personnage de Vic et The Shield ?
Ah non, absolument pas, que de l’amour. C’était génial à vivre, un truc collectif, presque familial. Et un tour de force artistique. Quand on a la chance d’avoir une chose comme ça dans sa carrière, on a la droit de se sentir chanceux. Et puis j’ai quand même participé à six ou sept projets qui ont cartonné. Par ailleurs, je suis toujours là, hein, c’est pas fini (Il sourit). 

The Shield est née durant un âge d’or de la série. Les choses ont beaucoup évolué depuis, notamment avec l’arrivée des plateformes et un nombre incalculable de contenus à la qualité très variable. Qu’est-ce que ça vous inspire ?
Des séries comme The Shield ou Les Soprano ont amorcé une révolution, qui constituait à faire migrer l’exigence du cinéma vers la télévision. Il était possible de faire des séries de grande qualité, intelligente et réellement cinématographiques. Aujourd’hui, tout a changé et il est principalement question d'économie et de systèmes de distribution. On a atteint le pic et on entre dans une phase de contraction. La bonne nouvelle, c’est que les contractions mènent généralement à la qualité plutôt qu'à la quantité. Bon, je sais que j’ai l’air de tourner autour du pot… La vérité, c’est que je n’en sais foutrement rien. Vous savez ce que va se passer, vous ?

Absolument pas.
Eh ben voilà, on en est au même point (Rires.)

Hotel Cocaine n’a pour l’instant pas de diffuseur français.

Séries Mania 2024 : Hotel Cocaine, de sang et d'argent [critique]