Hippocrate série
Denis Manin / 31 Juin Films / Canal+

Retour sur la prometteuse saison 1 d’Hippocrate avec son créateur, showrunner et réalisateur, Thomas Lilti.

Lointainement inspirée du film éponyme, la série Hippocrate démarre sur un événement imprévisible : tous les titulaires d’un hôpital sont mis sous quarantaine après la maladie suspecte d’un patient ! À charge pour trois internes inexpérimentés (Louise Bourgoin, Zacharie Chasseriaud, Alice Belaïdi), secondés par un médecin légiste (Karim Leklou), de faire tourner le service de médecine générale dans l’attente du retour des titulaires... Réalisateur du film original, Thomas Lilti développe ses thématiques autour de la mixité, de l’entraide, de la solitude et de la responsabilité avec un sens inné du découpage sériel, qui débouche sur un 8x52 minutes haletant de bout en bout.
 

Karim Leklou et Zacharie Chasseriaud présente Hippocrate


Qu’est-ce qui vous a poussé à transformer Hippocrate en série ? L’industrie ?
Pas du tout. Il se trouve qu’à l’origine, je voulais faire une série car personne, après l’échec de mon premier film (Les yeux bandés, ndlr), ne misait sur moi au cinéma. J’avais ce sujet sur l’hôpital que je n’ai finalement pas réussi à vendre aux chaînes et qui, de fil en aiguille, est devenu un film. Le succès en salles ne m’a pas ôté de la tête l’idée d’une série sur le sujet. J’avais la sensation que, malgré le nombre incalculable de fictions consacrées au milieu hospitalier, il y avait un moyen d’aborder les choses autrement, par exemple en traitant de la dimension socio-politique de l’hôpital public en France, qui fait partie intégrante de notre patrimoine. J’avais envie d’évoquer le rapport entre les soignants et les soignés, le dévouement incroyable des premiers...

Il y avait déjà tout cela dans le film, de même que la confrontation entre les anciens et les nouveaux.
Oui, et l’idée de la transmission. Montrer l’engagement des jeunes, leur croyance dans ce qu’ils font, dans le savoir, me tenait à cœur également. C’est très romanesque car ça soulève des problématiques autour du doute, de la compétence, de la culpabilité et de l’impunité.

Dans les deux cas, il y a un élément exogène : le médecin légiste albanais, joué par Karim Leklou, se substitue à l’interne algérien, joué par Reda Kateb.
Ce mélange correspond à la réalité de l’hôpital, aujourd’hui. C’est un lieu de collégialité, avant tout. Je tiens à cet élément exogène qui, contrairement à ce qu’on pourrait croire, détient souvent les outils et le savoir. Quand j’étais jeune interne, j’ai beaucoup appris des médecins d’origine étrangère.

Au point de rendre hommage au médecin albanais qui vous a formé.
Le personnage joué par Karim porte en effet le même prénom qu’Arben Menzelxhiu, qui avait dix ans de plus que moi quand j’ai fait ma première année d’internat. Un père de famille qui me paraissait terriblement vieux ! (rires) J’ai malheureusement perdu sa trace...

Ce personnage de légiste qui donne un coup de main aux internes ou cette quarantaine imposée aux médecins titulaires correspondent-ils à des choses que vous avez connues ou qu’on vous a rapportées ? Quelle est la part de fiction ?
C’est romanesque mais je suis convaincu que c’est vraisemblable. Il me fallait une astuce pour laisser mes jeunes internes aux commandes, je trouvais ça dramatiquement fort. Ce qui m’a plus dans l’idée de quarantaine, c’était de montrer qu’un hôpital public navigue à vue, en fonction d’événements plus ou moins prévisibles. J’ai vécu cette inertie administrative : il m’est arrivé d’être confronté à une rupture de stock de médicaments. Comment est-ce possible ?
 

Critique de la série Hippocrate


Vous êtes médecin. Pour autant, avez-vous eu besoin de conseils techniques sur certains points ?
Sur quelques gestes infirmiers, oui. C’est une technicité particulière que les médecins connaissent peu, ou mal.

Avez-vous une nouvelle fois mêlé les acteurs aux membres du personnel hospitalier ?
On a tourné dans un vrai hosto dont certains infirmiers voulaient venir faire un peu de figuration. Il m’est arrivé de filmer d’un peu plus près ceux que je sentais à l’aise devant la caméra mais, globalement, ce sont des comédiens qu’on voit à l’écran.

Quel hosto ?
Celui de Villepinte, qui est énorme. On a investi une aile désaffectée dans lequel on a reconstitué un hôpital, de fond en comble : couloirs, chambres, service de réa, d’urgences, de médecine interne... Parfois, quand on avait besoin de matos particulier, on en empruntait au vrai hôpital. C’était chouette, notamment en matière d’immersion pour les acteurs.

Comment avez-vous procédé au choix des acteurs ?
D’abord, je signale qu’il y a 130 rôles dans la série. Ça a été un travail titanesque de casting qui a pris des mois. S’agissant des quatre acteurs principaux, j’ai rencontré beaucoup de monde avant de m’arrêter sur Louise Bourgoin, Zacharie Chasseriaud, Karim Leklou et Alice Belaïdi. Je ne me suis pas trompé : leur entente sur et hors plateau a été dingue. Ils sont devenus très proches. Comme s’ils avaient vécu une grande aventure ensemble qui les aurait soudés.

Comment avez-vous travaillé avec eux ?
Il y a eu un temps de lecture assez long où je les ai incités à me poser le plus de questions possibles. Je leur ai par ailleurs proposé un montage de séquences d’Urgences qui montraient des actes simulés très techniques, comme un massage cardiaque, une intubation, etc. Ça les a rassurés. Pour finir, sur le plateau, j’ai fait énormément de prises pendant lesquelles je reproduisais, encore et encore, les gestes. Au bout de quinze jours, ils se sont véritablement pris au jeu et se sont appuyés sur la technique médicale pour s’approprier leurs personnages.

L’écriture d’une série est-elle intuitive et naturelle pour quelqu’un venant du cinéma ?
J’ai appris, notamment au contact des trois auteurs qui ont travaillé avec moi, dont certains étaient plus aguerris en série. On a fait des ateliers d’écriture pour schématiser la bible mais je savais quand même un peu comment ça s’articulait, simplement en raison de ma grande expérience de spectateur. Ce qui m’a rendu heureux dans la fabrication de cette série, c’est sa dimension feuilletonnante qui m’a permis d’aller plus loin avec les personnages. Ce sont eux qui portent la dimension politique de l’histoire qui n’a pas besoin d’être aussi explicite qu’au cinéma où la durée limitée interdit les trop grandes digressions. Je peux, ici, davantage me cacher derrière les personnages, ne pas marteler mon message.

Le succès d’un Rochant avec Le Bureau des Légendes était-il inspirant pour vous ?
C’est une référence. Avec mes producteurs, néophytes également en séries, on a rencontré François Pascaud, le régisseur général du Bureau des Légendes depuis quatre saisons. On avait envie de connaître les moyens qu’il faut mettre dans une série de cette envergure. Concrètement, on devait préparer la guerre ! Quelle armée, combien d’hommes, de jours de tournage... Ça nous a donné une bonne idée même si, au final, on n’a pas tout à fait opéré comme eux. On a aussi vu Harold Valentin, producteur de Dix pour Cent, qui nous a ouvert la porte de ses studios. En les voyant, je me suis rendu compte que je voulais tourner en décors naturels parce qu’il me fallait plus d’espace. En termes de fabrication, notre série ressemble en définitive à un long métrage qui aurait duré très longtemps.

Tout le monde a-t-il signé pour la suite ?
Il y a toujours dans les contrats une clause mentionnant l’éventualité d’une seconde saison. Il se trouve qu’elle est en route même si ce n’est pas encore complètement finalisé. Tout le monde en a très envie.

Hippocrate, diffusion sur Canal+ et en intégralité sur MyCanal