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Ce qu’il faut voir et ne pas voir au cinéma cette semaine

SPOTLIGHT ***
De Tom McCarthy, avec Michael Keaton, Mark Ruffalo

Un bon film de journalistes doit obéir à certaines règles. On veut y voir des gens intelligents, en bras de chemise, bosser jusque tard dans la nuit en se nourrissant de pizzas froides et de bières tièdes. Il faut un personnage de rédac chef sévère mais juste, des deadlines incompressibles, des vies privées qui foutent le camp, des téléphones qui crépitent sans cesse, le cliquetis ininterrompu des claviers dans la salle de rédaction en surchauffe, puis ces moments où l’enquête piétine avant qu’un témoin décisif, genre Gorge profonde, ne surgisse de nulle part et donne le tuyau essentiel qu’on n’attendait plus. Il faut enfin que les journalistes en question œuvrent pour une cause noble, une cause juste – faire tomber un dirigeant qui a menti au peuple (Les Hommes du Président), révéler les magouilles de l’industrie du tabac (Révélations) ou, comme ici, pointer du doigt les salopards qui ont violé des mômes en toute impunité pendant des décennies. Une fois que ces éléments sont réunis, c’est encore mieux si la quête fiévreuse de la vérité ressemble à un thriller. Spotlight a reçu le message cinq sur cinq et coche méthodiquement les cases. Tom McCarthy trouve la distance parfaite entre le film à suspense et le film-dossier, entre le plaisir et la colère, l’entertainment et l’indignation.
Frédéric Foubert
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LES PREMIERS LES DERNIERS ***
De Bouli Lanners, avec Albert Dupontel, Bouli Lanners…

Dans des décors naturels sombres, plats et fouettés par le vent (une vision neurasthénique de la Belgique actuelle ?), des personnages hyperincarnés mais comme dépourvus d’âme (à l’exception du jeune couple) jouent les cowboys et les Indiens de notre temps ou d’un futur proche. De ces stéréotypes de western, Bouli Lanners tire un film puissant sur l’ultramoderne solitude et sur la violence qu’un monde débarrassé des codes sociaux de base pourrait faire naître. On pense évidemment à Mad Max, autre western revisité, qui semble être la référence de Lanners dans son approche plastique – minimaliste et cohérente – et psychologique des personnages. Les acteurs ont d’ailleurs, semble-t-il, pris un plaisir évident à jouer ce type de héros grisâtres, peu courants sous nos latitudes. Ils sont tous impériaux, du taciturne Albert Dupontel au mystérieux Bouli Lanners, en passant par l’incontrôlable Serge Riaboukine. Leurs performances procurent un plaisir immédiat, décuplé par la singularité de ce projet qui s’inscrit dans la courte, mais déjà impressionnante, filmographie de son auteur. 
Christophe Narbonne

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EXPERIMENTER ***
De Michael Almereyda, avec Peter Sarsgaard, Winona Ryder…

Un antibiopic ? C’est un terme à la mode (Danny Boyle et Aaron Sorkin parlent ainsi de leur Steve Jobs) et sans doute le meilleur moyen de décrire Experimenter. Le film veut dynamiter les conventions de la bio de cinéma en multipliant les procédés de distanciation : Peter Sarsgaard brise le quatrième mur, l’artificialité des décors est revendiquée comme sur la scène d’un théâtre... Ce dispositif quasi brechtien pourrait ressembler à une pose arty, mais il s’impose comme une façon puissante de prendre le spectateur à témoin. De faire de nous des cobayes. La scansion hypnotique de Sarsgaard, la minutie oppressante de la mise en scène cherchent à provoquer le sentiment d’hébétude et d’effroi qui saisit les lecteurs de La Soumission à l’autorité. Le film finit par ressembler aux conclusions de l’expérience de Milgram : triste, glaçant et passionnant.
FF

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ENCORE HEUREUX ***
De Benoît Graffin, avec Sandrine Kiberlain, Edouard Baer…

Marie aime passionnément son mari, Sam, au chômage depuis deux ans. Mais trois déménagements et les menaces des huissiers pourraient bien avoir raison de sa tendre patience, d’autant qu’un riche inconnu lui fait une cour assidue. Leur fille Alexia, qui joue du piano chez une voisine aisée, a peut-être trouvé une solution... Cette comédie foldingue à (double) fond social est une joyeuse surprise. Bien écrit et dialogué – le réalisateur s’est associé à Mika Tard et Déborah Saïag de Foon, et à Nicolas Bedos –, le film, cruel, drôle, amoral, avance sans temps mort. Le rythme inimitable d’Édouard Baer et de Sandrine Kiberlain, épatants, y est d’ailleurs pour beaucoup. 
Isabelle Danel

LES SAISONS ***
De Jacques Perrin et Jacques Cluzaud

Nouveau pari fou pour Jacques Perrin et son équipe, après les hauteurs lyriques du Peuple migrateur et les plongées d’Océans : retracer l’histoire des territoires européens de la fin de l’ère glaciaire, où surgit une forêt luxuriante peuplée d’animaux sauvages, jusqu’à la création des campagnes sous l’impulsion de l’homme moderne. Il y a quelque chose de simple et d’évident dans la succession des saisons et des séquences qui enjambent parfois des siècles en une seconde. Là, se croisent bisons et écureuils, chevaux et hérissons, biches et lynx... Un film techniquement parfait, avec des moments de grâce absolue, des batailles homériques d’ours bruns au vol vrombissant d’un lucane cerf-volant.
ID

TOUT EN HAUT DU MONDE ***
De Rémi Chayé, avec les voix de Christa Théret, Feodor Atkine…

De l’urbanisme de Saint-Pétersbourg aux étendues sauvages de la banquise, le dessin épuré de Rémi Chayé épouse avec vivacité le parcours d’une jeune frondeuse qui se sent à l’étroit dans les intrigues de palais (le début du film évoque Le Guépard) et part à l’aventure pour restaurer l’honneur de son ancêtre. Sorte de version enneigée du Secret de La Licorne, cette ode au voyage transforme la quête individuelle en destin collectif et se libère joyeusement des convenances esthé- tiques (une chanson pop de Syd Matters vient ainsi magnifier la fugue de notre héroïne du XIXe  siècle). Confrontant l’âme russe à une soif de découverte digne de Jules Verne, ce spectacle plein d’allant conserve jusqu’au bout son audace fédératrice. 
Damien Leblanc

Et aussi…

LES FILLES AU MOYEN-ÂGE ***
De Hubert Viel

Dans la Normandie d’aujourd’hui, un vieil érudit dresse à des petites filles le portrait d’un Moyen Âge méconnu où les femmes, savantes et spirituelles, étaient émancipées du pouvoir des hommes. Le dispositif de ce film à sketches en noir et blanc, qui montre des enfants incarner dans un décor champêtre des personnalités médiévales, entoure le discours égalitaire de fantaisie et d’apaisement : exposée sous forme de douce rêverie, la leçon d’histoire peut ainsi se situer quelque part entre la solennité animiste d’un Miyazaki et l’humeur iconoclaste des Monty Python. Et Hubert Viel de confirmer, après Artémis, cœur d’artichaut, son talent pour éclairer le présent d’une étrange lueur mélancolique
Damien Leblanc

LES DÉLICES DE TOKYO **
De Naomi Kawase, avec Kirin Kiki, Masatoshi Nagase…

Dans son échoppe, Sentaro sert du thé et des dorayakis, des crêpes fourrées à la pâte de haricots rouges, à de jeunes étudiantes souvent moqueuses, à l’exception de Wakana. Une vieille dame, Tokue (Kirin Kiki, fascinante), vient lui proposer ses services et fait des merveilles dans la préparation des gâteaux. Ode à la vie, aux plaisirs culinaires et à la nature (Ah, les cerisiers en fleurs !), ce nouveau long métrage de fiction de Naomi Kawase offre des images aussi belles que La Forêt de Mogari, aussi sensuelles que Still the Water. Mais cette bluette réunissant trois solitudes reste bien conventionnelle et sans surprise, et la surenchère de douceurs sucrées finit par provoquer l’overdose. 
ID

DR

45 ANS **
D’Andrew Haigh, avec Charlotte Rampling, Tom Courtenay…

Après Week-end (2012), sur la rencontre amoureuse de deux jeunes hommes, Andrew Haigh met au centre de ce nouveau film un vieux couple, Kate et Geoff Mercer, à la veille de fêter leurs quarante-cinq ans de mariage. Une lettre leur annonce que le corps de Katya, fiancée de Geoff disparue alors qu’ils faisaient de l’escalade en montagne, vient d’être retrouvé, cinquante ans après. Cette observation minutieuse et sensible des ravages mentaux d’une jalousie rétrospective n’évite pas la pesanteur des dialogues, ni des symboles (le grenier et sa valise de photos). Mais Tom Courtenay, tout en silences et hésitations, et Charlotte Rampling, qui semble se craqueler intérieurement de douleur, font des miracles.
ID

CONTRE-POUVOIRS **
De Malek Bensmaïl

En Algérie, les journalistes d’El Watan jouent en permanence à cachecache avec le gouvernement pour garder une ligne éditoriale critique et pertinente. Dommage que ce documentaire, à la réalisation soignée et intelligente, se borne à nous enfermer dans les salles de rédaction du quotidien, au lieu de nous inviter sur le terrain. 
Mathias Averty

LE CHANTEUR 0
De Rémi Lange

À la mort de sa mère, un jeune chanteur quitte sa campagne pour réussir à Paris. Si le réalisateur retrouve le thème de l’homosexualité et le dispositif filmique amateur déjà convoqué dans Les Yeux brouillés et Omelette, tout sonne cruellement faux dans Le Chanteur, film "musical" hypercaricatural digne d’une émission de téléréalité.
JBA