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Quelques heures après la disparition d’Annie Girardot, Edouard Molinaro et Claude Pinoteau, deux cinéastes qui l’ont dirigée, se souviennent d’une actrice exceptionnelle.
Par Gaël Golhen

Il faut garder un souvenir joyeux d’Annie. Oublier sa maladie pour se souvenir de l’actrice”. C’est ainsi que Claude Pinoteau (qui dirigea Girardot en 74 dans La Gifle) évoque l’une des plus grandes comédiennes de sa génération : la joie contre la douleur. L’art contre la mort. Depuis quelques années, Girardot était en effet devenue le symbole de la maladie d'Alzheimer; l’incarnation des ravages du temps et de la souffrance. On se souvenait au mieux de ses larmes et de son émotion brouillonne aux César 96; à la rigueur de son dernier grand rôle (La Pianiste). Mais notre rapport à Annie Girardot était brouillé par cette saloperie qui la rongeait. Ce flou déchirant qui voilait notre perception. C’est précisément cela le plus douloureux pour ceux qui l’ont connue : “il faut dire aux jeunes générations à quel point Annie était une star ! Une immense star” explique ainsi Edouard Molinaro. Le cinéaste l’avait fait tourner à deux reprises au cinéma : dans La Mandarine et dans Cause toujours tu m’intéresses. Et son souvenir est encore vivace : “C’est elle qui m’a permis de réaliser La Mandarine. A l’origine, c’était un film très personnel, une aventure personnelle - et personne n’en voulait. Aucun producteur ne voulait mettre de l’argent dessus. Quand elle a lu le scénario, elle a tout de suite accepté. Et à partir de là, c’était gagné : Girardot dans les années 70 et jusqu’à la fin des années 80, c’était l’une des plus grandes actrices françaises. Après Mourir d’aimer, c’était l’égale de Bardot en terme de notoriété.

Dans un registre différent, certes, mais elle c’était l’une des plus grandes actrices populaires de son temps; une star bankable” se souvient Molinaro. C’est vrai. Sur son seul nom, des projets de films se montaient; elle attirait les plus grands réalisateurs (Visconti, Ferrerri, De Broca, Lelouch, Carné, Blier). Et surtout elle pouvait donner la réplique à des monstres sacrés : Ventura, De Funes, Delon, Belmondo... Girardot les a tous “affrontés”. “Elle n’avait peur de rien, se souvient Pinoteau ! Et puis, un acteur ou une actrice n’est jamais aussi bon que face à un égal. Gabin disait : “mettez moi face à un nul et je serai mauvais; face à un bon, je serai excellent”. Annie c’était ça. Face aux très grands, elle était sublime. Elle a commencé par le conservatoire et elle jouait beaucoup au théâtre... Elle pouvait tout jouer”.Tout jouer ? Si elle a commencé avec Visconti ou Carné, très vite, elle a pourtant privilégié les grands rôles populaires. La femme de De Funès dans La Zizanie ? C’est elle. La femme de ménage de Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas... mais elle cause ? Encore elle. La commissaire de On a volé la cuisse de Jupiter ? Toujours elle. “C’est vrai qu’elle avait à un moment choisi la comédie, commente Pinoteau. Parce que ce qui la motivait, c’était le plaisir de jouer. Elle était heureuse sur un plateau. Et c’est ça qu’elle recherchait”. Ce que confirme Molinaro : “c’était une actrice extraordinaire, mais c’était aussi une femme exceptionnelle. L’humanité, la tendresse, la vérité : voilà comment je définirais les qualités de l’actrice”. Même constat de Pinoteau : “ce qui la rendait aussi touchante, c’est qu’elle mettait une telle sincérité dans ses personnages... Elle nourrissait ses rôles par sa propre vie. C’est ça qui a défini son rapport au public. Cette vérité, cette absence de mensonge. Je me souviendrai toute ma vie d’une scène d’Un homme qui me plaît. Elle attend son amant Belmondo à l’aéroport et quand elle voit qu’il n’est pas dans l’avion, la caméra capte sur son visage un sourire. Un sourire de dérision. Un sourire déchirant, d’une tristesse infinie... Pour moi, c’était ça Annie Girardot. Ce sourire”. Ce sourire s’est donc éteint aujourd’hui. “On perd une grande comédienne, conclut Pinoteau. Mais c’est aussi une délivrance”.