John McTiernan
Abaca

On a profité du Sofilm Summercamp, à Nantes, pour parler du cinéma d'action contemporain avec le réalisateur de Die Hard. On n'a pas été déçu du voyage.

Mise à jour du 8 janvier 2021 : John McTiernan fête aujourd'hui ses 70 ans. Nous profitons de cet anniversaire pour republier notre rencontre avec le réalisateur, en 2016.

On venait le chercher sur l’art perdu de filmer l’action, le mouvement des corps au milieu des fusillades et des mandales, la désertification du sens dans le spectaculaire. John McTiernan a préféré nous cueillir avec une réflexion radicale sur un absolu de cinéma. À 65 ans, le bonhomme s’est lancé dans une quête formelle et existentielle, une expérimentation cinématographique pour laquelle il pousse les curseurs aux confins de la folie. McT va craquer ?

Première : Est-ce que le cinéma d’action est en panne depuis quelques années ?
John McTiernan : Il n’y a plus que des produits d’entreprises. Joel Silver veut toujours produire de vrais films d’action, mais ils ne sont plus beaucoup. Tout ce qu’ils font, ce sont des adaptations de comics. Il y a de l’action mais pas d’êtres humains, ce sont des films faits par des fascistes. Ils font croire à tous les gamins de la planète qu’ils ne seront jamais assez importants pour qu’on fasse un scénario de leur vie. Et c’est un moment unique dans l’histoire du cinéma, ce n’était pas comme ça avant. Un gamin pouvait apprendre comment un homme ou une femme devrait se comporter en regardant des films. La morale quoi. Les comics font des héros pour les entreprises.

Vous avez vu les deux derniers Captain America ? Les frères Russo tentent des choses sur le terrain de l’action.
J’en ai vu un ou deux, ouais… Enfin, quelques minutes. Je n’ai pas d’avis sur eux, je n’ai pas assez regardé.
 
Vous avez en tête des scènes d’action marquantes de ces dernières années ?
Non.

Bon. Mais est-ce qu’au moins quelqu’un trouve grâce à vos yeux dans le film d’action moderne ?
Je suis sûr qu’il y en a mais ça ne me vient pas là.

Quel est le problème, vous considérez qu’il y a un manque de complexité, de réflexion sur le but de la scène d’action ?
Oui, il y a de ça. Ah tiens si, ça me revient, j’ai adoré Argo de Ben Affleck.

Pas tout à fait un film d’action…
Si, pour moi c’en est un. Il a fait quelque chose d’incroyable. Et il était meilleur acteur que dans tous ses autres films. Normalement quand un réalisateur se met à l’écran, c’est l’inverse. Il a mis de côté son égo, il a commencé à se comporter comme un héros dans un film de John Ford. Il n’était pas méchant, il n’était pas non plus un super-héros : il faisait de son mieux. Et c’est très différent de ses autres rôles. Il y a quelque chose chez lui que pas mal de gens trouvent énervant. Cette arrogance, cette froideur… Elle a disparu dans ce film. Je ne crois pas qu’il soit arrogant, il manque juste de confiance en lui et il tente de le cacher.


Mais vous passez du temps à regarder des films ?
Oui, je fais partie de l’Académie des Oscars, donc je vois tout.

Donc vous avez vu Mad Max : Fury Road
Pffff… Produit d’entreprise.

Attendez, vous n’arrivez à me citer personne à part Ben Affleck et vous balayez d’un revers de la main Fury Road ?
Produit d’entreprise. Le premier Mad Max était super par contre, le truc avec le cochon aussi, Babe. Ça c’était génial.

Si je vous comprends bien, vous trouvez que les gros studios empoisonnent le cinéma d’action avec leur idéologie ?
Je déteste la plupart des films pour des raisons politiques, je ne peux pas vraiment les voir. Je suis énervé à la seconde où ça commence. Captain America, sans rire… Le culte de l'hyper-masculinité américaine est l’une des pires choses qui soient arrivées au monde durant les cinquante dernières années. Des centaines de milliers de personnes sont mortes à cause de cette illusion débile. Donc comment est-il possible de regarder un film qui s’appelle Captain America ?

On pourrait en discuter des heures, mais il y a un peu plus de réflexion sur l’état de l’Amérique que ce que vous…
Mais c’est choquant ! Je suis incapable de les regarder calmement. Point.

Dans vos films, et je pense particulièrement à Die Hard et L’Affaire Thomas Crown, la symétrie des images est particulièrement importante. À quel point la forme est la clé pour faire un bon film d’action ?
Je ne sais pas… J’ai commencé comme un formaliste. Truffaut aussi. Et au final il n’avait plus besoin de se soucier de la forme, parce qu’il en avait trouvé une, un truc qui marchait naturellement pour pratiquement toutes les histoires. Si j’arrive à monter mon prochain film, je vous dirai si j’arrive à ce que je veux faire. Au point où je m’en fiche de la forme et j’ai juste à me concentrer sur l’histoire. 

C’est-à-dire ?
Il faut maîtriser la forme, la dépasser ! Ce qui veut dire qu’il faut passer des dizaines d’années à être obsédé par elle. Notre art n’est pas arrivé au bout de ce qu’il peut produire. La sculpture s’est terminée avec Michel-Ange. Représenter un être humain aussi bien que possible, dans tout ce qu’il a de singulier, et en trois dimensions. On n’a jamais fait mieux. Il y a eu des variations bien sûr, mais c’était fini. La musique était une poursuite formelle entre l’an 1 300 et Beethoven. Pan, c’est fini. Vous pouvez être musicien, bien sûr. Mais pour la forme, c’est réglé.

Donc le cinéma attend encore son Michel-Ange ou son Beethoven ?
Oui, ce n’est pas encore arrivé. Le travail n’est pas fini. On n’a pas encore découvert toutes les techniques. Le cinéma est encore basé sur le texte, sur les mots. Mais pourquoi ça devrait être comme ça ? Il y a encore tellement à faire… On fait encore des choses basées sur la logique. Pensez à vos rêves : ce ne sont que des images, d’accord ? Les gens ne disent pratiquement pas un mot dedans. Et pourtant rien n’a plus de sens que vos rêves. Chaque putain d’image veut dire quelque chose. À un moment, il y a aura des films comme ça, sans plans qui ne sont là que pour installer ce qui se passera après dans l’histoire.

Mais des réalisateurs comme David Lynch ou Terrence Malick ne vont-ils pas dans cette direction ?
Oui, c’est vrai. Mais Malick, ses histoires sont totalement basées sur le texte. Buñuel, lui, faisait de purs films, ça n’avait strictement aucun sens retranscrit en texte. Un jour, je crois qu’on aura des films de l’intensité de La Neuvième Symphonie. Où on saura exactement de quoi ça parle mais personne ne dira un mot. Vous saurez, tout simplement ! Quelqu’un trouvera le niveau de folie où les plans seront remplis de ‘holy shit !’ Des révélations.

C’est vers ça que vous tendez pour votre prochain film ?
Oui. J’espère le faire avec un producteur français, avec un tournage en France ou en Serbie. C’est pensé pour être totalement tourné en Europe. Il n’y a pas beaucoup de dialogues, donc on peut le tourner en français et en anglais en même temps. C’est une histoire très simple. Enfin, elle semble très simple, mais elle ne l’est pas… Le personnage principal est une femme. Ça parle d’une femme sans enfant et d’une enfant sans mère. Et c’est un film d’action quand même !

Interview François Léger

Merci au Sofilm Summercamp