No Sudden Move
Canal Plus

Alors qu’on ne donne plus cher de la peau du ciné américain « mid-budget », Steven Soderbergh emballe un succulent petit film de gangsters, comme si on était encore dans les années 90. Quelque chose comme la face B de Hors d’atteinte.

Sorti aux Etats-Unis sur HBO Max, No Sudden Move est diffusé en France sur Canal Plus, ce mercredi 8 septembre (à 21h07), et disponible sur MyCanal

Le pitch imaginé par Steven Soderbergh pour No Sudden Move était du genre minimaliste : "Trois hommes qui ne se connaissent pas sont embauchés pour un contrat, mais rien ne se passe comme prévu." Pour étoffer l’affaire, le réalisateur d’Ocean’s Eleven a fait appel à Ed Solomon, scénariste de Men in Black et de L’Excellente Aventure de Bill & Ted, avec qui il avait déjà bossé sur la série HBO Mosaic. Solomon a eu l’idée d’aller fouiner du côté du Detroit de l’année 1954, pour enrouler autour de l’argument ticket de métro de Soderbergh tout un écheveau de spéculations socioculturelles, impliquant la question raciale dans le Michigan des années 50, les ramifications monstrueuses du crime organisé et la toute-puissance du big business en Amérique. Ne restait plus ensuite qu’à convoquer une poignée de copains acteurs (Don Cheadle et Benicio del Toro en tête, ainsi qu’un invité vedette non crédité au générique, donc chut...), tout un tas de visages aimés pour les rôles secondaires (David Harbour, Kieran Culkin, Brendan Fraser, Ray Liotta, Julia Fox, Bill Duke... un festival), à demander au fidèle David Holmes de composer un score capiteux, et voici, emballé comme d’hab en un temps record (c’est le quatrième Soderbergh que l’on voit en deux ans), un parfait petit polar du samedi soir. Le genre qui pousse les critiques ciné à se lamenter sur la disparition des films américains dits "du milieu". Plutôt que de déplorer leur perte, Soderbergh, lui, continue d’en tourner là où il est encore possible de le faire – en l’occurrence, sur la plateforme HBO Max. 

DENRÉE RARE

C’est sans doute parce que cette catégorie de films est devenue une denrée rare que la mise en place de No Sudden Move procure un plaisir aussi monstrueux. Les "trois gars qui ne se connaissent pas" (Cheadle, del Toro et Culkin) ont été chargés par des intermédiaires mafieux de "faire du babysitting" (comprendre : retenir en otage une gentille famille américaine bien sous tous rapports) pendant que le pater familias (David Harbour) est contraint d’aller chercher un document mystérieux dans e coffre-fort de son patron. Tout marche à fond : la façon impressionniste dont est posé le contexte, les dialogues teigneux, les déplacements félins de Benicio del Toro... Même les masques que portent les gangsters pendant leur raid façon Maison des otages ont l’air particulièrement cool. 

PUZZLE

Le choix de Soderbergh d’utiliser des lentilles qui distordent l’image sur les côtés est certes une coquetterie stylistique un peu étrange, une distraction visuelle dont on se serait passé. On lui sait gré en revanche de ne jamais transformer son film en un commentaire sur le genre. Pas de surplomb postmoderne ici. Soderbergh se contente, alléluia, de raconter une bonne histoire de criminels qui se poignardent dans le dos les uns les autres et tentent de survivre dans un monde sans pitié. Parce que l’action se passe à Detroit, et parce que le fantôme d’Elmore Leonard rôde dans les parages, on pense à Hors d’atteinte, dont No Sudden Move serait l’envers, débarrassé du vernis glamour et sexy. Passé le premier acte si délicieux, c’est un enchaînement de coups fourrés, de trahisons diverses et de chausse-trappes scénaristiques qui donnent au film des allures de puzzle, partant d’un tout petit point sur la carte pour dévoiler in fine un vaste panorama du crime américain. À l’arrivée, une fois le plan révélé dans son ensemble, la volonté de Soderbergh et Solomon de bien relier entre eux tous les points de leur intrigue casse-tête et de s’assurer que le spectateur a bien compris le message (car, oui, c’est aussi un film à message) déçoit presque un peu, comme on peut être déçu par certains Coen à la mécanique trop parfaite, trop huilée. Mais difficile de faire la fine bouche. Ça reste du travail de pro.