5ème film d’Albert Dupontel en tant que réalisateur, 9 mois ferme s’affiche déjà comme son plus gros succès au box-office avec, en deux semaines, 100 000 convertis de plus que pour son film précédent, Le Vilain, qui avait terminé sa carrière avec 947 260 spectateurs. On risque même de le retrouver en fin d’année dans les plus gros succès français aux côtés de Boule et Bill et Les Profs. Il faut dire aussi que les critiques sont unanimes et, parmi les nombreuses comédies qui sont sorties cette année, oubliées presque aussi vite qu’elles ont quitté les écrans (hein, Eyjafjallajökull…), 9 mois ferme fait figure d’exception. En effet, si en première semaine le film n’était visible que dans 360 salles, il est, dans sa quatrième, disponible sur 445 copies. Et le succès manifeste ne s’explique pas seulement par la qualité du long-métrage mêlant habilement humour noir, romance et humanisme.Dupontel apaiséA 49 ans, Albert Dupontel traîne une carrière particulièrement hétéroclite derrière lui. Cet ancien étudiant en médecine venu de la région parisienne s’est lancé dans le cinéma au début des années 90. Mu par la même rage et la même énergie à frapper à tout va sur une société ronronnante que ses confrères de la même époque, Jan Kounen, Gaspar Noé ou encore Mathieu Kassovitz, Dupontel affiche la couleur. Dès son premier court-métrage, Désiré, il n’aura de cesse de remettre en question les injustices de la vie à travers le prisme d’un humour noir, d’une violence cartoonesque et d’un rythme effréné et saccadé qui lui sont propres. Bernie et Le Créateur prolongent ce massacre inventif avec leurs personnages d’abandonnés de la société, murés dans le déni qui se font rattraper bien malgré eux par la réalité qu’ils tentaient de fuir. Pas de happy end pour l’écorché vif. Puis vint Enfermé dehors qui, en gardant cette même vigueur, semblait déjà faire la paix avec les gentils, auparavant brocardés, leur accordant cette fois le bénéfice du doute concernant leur sincérité. Moins nihiliste, Dupontel cherche à trouver le bon sans perdre son côté mauvais garçon, comme il le prouve dans Le Vilain. Avec 9 mois ferme, il fait montre une fois de plus de son humanité surtout envers les laissés pour compte qu’il a toujours aimés et défendus et se laisse même aller à une forme de comédie romantique. Il n'en reste pas moins un sale gosse pourfendeur du bon goût, et le montre en laissant apparaître en guest ses amis Kounen et Noé, compagnons de cellule d’un certain cinéma de genre français. Mais contrairement à eux, il parvient à s’en évader.L’homme du peupleDéfenseur des marginaux, angoissé notoire par l’injustice environnante, Albert Dupontel se veut simple et proche des gens. Il préfère qu’un type « dans une crêperie au fin fond de la Bretagne » vienne lui « parler du Créateur pendant une heure », comme il le disait dans Télérama en 2001, plutôt que de faire le tour des plateaux télé. Et ça, il le met en application : en plein montage de 9 mois ferme, le réalisateur, sous le prétexte d’effectuer une master class, a diffusé son film afin d’avoir les retours du public français. En fonction de ces réactions, il va retravailler son long-métrage jusqu’en juillet 2013. « Il aime aller au contact » explique Charles Vannier, qui s’est occupé du film pour Wild Bunch, le distributeur, « C’est son truc d’aller à la rencontre du public, il avait commencé bien avant qu’on ne lance la promo en province fin juillet ». Une tournée de 70 villes où le cinéaste est allé à la rencontre des spectateurs de France et de Navarre. « Et le public a immédiatement été réceptif au film » comme le précise Catherine Bozorgan, la productrice. La preuve, 9 mois ferme a récolté le label spectateur d’UGC. Le bouche-à-oreille, en plus de la promo nationale par l’affichage et les plateaux télé, était alors en marche.Dupontel : un chouchou très discretSi les premiers films de Dupontel ont un statut culte et que les extraits de ses spectacles font les grandes heures de Rire & Chansons (allumez à n’importe quelle heure, vous risquez de tomber sur « L’épreuve de philo »), Albert Dupontel n’est pourtant pas une mégastar, plutôt une figure connue du paysage français, un peu comme le tonton « vulgos » et poil à gratter qui embête mamie aux dîners de famille. De cette image de sale gosse turbulent et pas toujours très subtil, il a réussi à tirer une aura légèrement sulfureuse dont il s’est servi pour ses rôles dans les longs-métrages des autres. En échange, ceux-ci lui ont apporté une plus grande visibilité lui permettant de se faire un peu plus connaître du grand public et de lisser légèrement son image. Grâce au drame Deux jours à tuer de Jean Becker, à la comédie amère Le bruit des glaçons de Bertrand Blier ou encore au policier Le Convoyeur de Nicolas Boukhrief, Albert Dupontel est devenu une sorte d’incontournable, apportant sa « street-credibility » aux films auxquels il participe. Et visiblement, ça marche, le comédien, comme le cinéaste, est devenu bankable.L’atout KiberlainPas au point cependant de vendre un film uniquement sur son nom. Les distributeurs ont donc accentué la communication sur les autres points forts du film, à commencer par l’histoire elle-même. Comme le souligne la productrice, « elle est plus réaliste que celle de ces films précédents ». En effet, cette histoire de criminel jugé pour un meurtre atroce qu’il dit ne pas avoir commis rappelle les faits divers que l’on croise dans nos JT, l’erreur judiciaire faisant toujours recette en termes de storytelling. Sans trahir ses principes, Dupontel a donc écrit une histoire, inspirée par 10ème chambre, instants d’audience de Raymond Depardon dont l’une des juges fait une apparition dans le film, proche de son temps et des préoccupations de son époque. L’autre atout du film sur lequel se concentre la promo se nomme Sandrine Kiberlain. L’actrice de 45 ans, très présente sur nos écrans depuis le début des années 1990 tout en restant assez discrète, est à l’affiche de pas moins de cinq films en 2013. Mêlant les genres et les styles, la comédienne fait l’unanimité grâce à son charme pudique et ses aptitudes comiques infinies. Comme l’explique le distributeur, « elle représente le spectateur dans le film. Comme lui, elle ne connaît pas Dupontel et le découvre ». Un rôle d'éclaireur qui scelle le lien entre Dupontel et le public.Perrine Quennesson Voir aussi notre dossier Albert Dupontel