La Planète des singes, vous êtes tombé dedans quand vous étiez petit ?Voilà ! J’étais obsédé par le film, étant gosse. Et par la série télé, et par Le Secret de la planète des singes (la première des nombreuses suites, réalisée en 1970, ndlr)… Bien sûr, j’avais toutes les poupées-mannequins Mego, la cabane dans les arbres, le cheval, etc. Michael Giacchino, le compositeur de la musique du film, adore tous ces jouets, lui aussi, et ils trônent aujourd’hui dans son bureau. Quand on bossait sur la musique de Let Me In, je lui avais raconté comment mes parents avaient fini par jeter les miens. Hier, on travaillait sur la musique de L'Affrontement, et il me fait "j’ai un cadeau pour toi". Et il me donne cette grosse boîte. C’était la cabane dans les arbres ! Il l’avait retrouvée sur eBay.Qu’est-ce qui vous plaisait tant dans ce monde de La Planète des singes ?Je crois que je voulais être un singe. Et quand des années plus tard j’ai vu Les Origines, le truc qui m’a vraiment sidéré, c’est l’empathie que j’avais pour César. Le personnage le plus humain du film était un singe ! Jamais encore je n’avais ressenti une telle connexion émotionnelle avec une créature en images de synthèse, et il faut rendre à César, c’est à dire à Andy Serkis, ce qui lui appartient : lui et WETA ont fait un boulot incroyable. Naturellement, je pensais que Rupert Wyatt voudrait réaliser le prochain épisode.Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ?Problème de calendrier : il avait besoin de plus de temps que le studio ne voulait lui en donner. Et il y avait des divergences artistiques. Le studio s’est alors tourné vers moi. Entre le moment où j’ai vu Les Origines pour la première fois et le moment où je l’ai revu pour affuter mon pitch pour L'Affrontement, j’ai eu un fils. Et chaque fois que je regardais Andy, je voyais mon fils. Comme César, c’était encore un petit animal, mais on sentait une telle intelligence dans ses yeux, une telle compréhension… Il ne lui manquait que la parole. Vous sentez qu’il veut vous dire quelque chose - qu’il a faim, qu’il a mal au ventre -, et qu’il est au bord de pouvoir le faire. Avec L'Affrontement, j’ai voulu montrer cette étape de l’évolution de César, ce moment où il cesse d’être un animal. Le studio avait un autre film en tête. Ils comptaient faire un bond en avant plus important : dans le traitement qui m’a été donné, les singes étaient déjà dans la ville, et ils étaient beaucoup plus avancés sur le langage. En termes de trajectoire, on sait qu’on en arrive, dans le film de 1968, à des singes capables de s’exprimer parfaitement, et à des humains relégués au rang d’esclaves. Les Origines, pour sa part, montre l’étincelle d’intelligence qui mettra le feu aux poudres. Il fallait reprendre là, à ce moment précis où les forces en présence sont équilibrées : d’un côté, des humains affaiblis, qui essaient de se remettre après qu’un virus a décimé la majeure partie de la population ; de l’autre, des primates à l’intelligence bourgeonnante, pas encore otages du petit confort matériel dont nous sommes devenus dépendants. L’idée me paraissait très excitante : montrer ce monde que les singes créeraient dans les bois. Leur prochaine phase de développement et d’évolution. La naissance d’une civilisation.Le monde des singes est-il une métaphore de la société idéale, ou en tout cas plus égalitaire, que nous pourrions ou devrions créer ?La plupart des blockbusters qu’on voit débouler chaque été ne visent que le spectacle. C’est pourquoi j’adore ce qu’a fait Chris Nolan avec Batman : il a vraiment relevé le niveau, introduit des thèmes complexes. Avec le personnage du Joker, il a pu développer une réflexion passionnante sur l’anarchie. La Planète des singes est une fable sur la nature humaine. Dans mon film, j’ai fait le choix délibéré de ne pas avoir de méchants, et d’encourager l’identification à chacun des personnages, même quand ils prennent une décision horrible, parce que cela fait partie de notre nature. Les circonstances peuvent nous amener à faire des choses innommables, ou nous pousser à nous révéler sous notre meilleur jour. Quand César atterrit au zoo dans Les Origines, le film vire au film de prison. Et il fallait que le personnage du maton, joué par Tom Felton, soit clairement méchant, c’est comme ça que le film vous amenait à vous identifier aux singes. Mon ambition pour L'Affrontement, c’était de n’avoir aucune réponse facile, toute prête. Les gens qui ont vu les premiers extraits en ont déduit que Gary Oldman devait être le bad guy de l’histoire. Faux. Chacun a de très bonnes raisons d’agir comme il le fait, y compris le personnage de Gary Oldman.Il n’y a pas de suspense quant à l’affrontement entre singes et humains. Comment surmontez-vous cet obstacle, sur un plan narratif ?Mon prof d’écriture scénaristique à USC, Frank Daniel, nous avait expliqué qu’il y a des histoires où le suspense tient à la question "Qu’est-ce qui s’est passé ?", et d’autres où la question est "Pourquoi ça s’est passé ?" C’était intéressant d’avoir à s’insérer dans une saga dont vous connaissez l’issue, décrite dans le film du 1968, et le point de départ, qui nous était donné dans Les Origines. De montrer ce moment précis où il était encore possible que les choses se passent autrement, et de dévoiler les raisons et les évènements qui font qu’on en est arrivés là où on en est arrivés. Le comment et le pourquoi. Comment, quand et pourquoi la violence va-t-elle se déchainer ? A-t-on tenté de la prévenir ?Pendant que vous vous emparez de la saga de la Planète des singes, votre acolyte J.J. Abrams s’approprie l’univers Star Wars. Il est frappant de constater à quel point votre génération se définit par rapport à des univers préexistants, ceux avec lesquels elle a grandi. Est-il encore possible de créer de nouveaux mondes, en 2014 ?C’est compliqué, parce que l’industrie a changé. Les budgets, les enjeux financiers sont plus importants. Les films coûtent plus cher à faire. Pour pouvoir les vendre partout à l’étranger, et ainsi minimiser les risques, les studios ont besoin de s’appuyer sur des univers déjà bien établis. Ce qui est dommage, avec un tel paysage, c’est que les films d’envergure moyenne, qui étaient parfaitement adaptés à ce genre d’histoires, ont disparu. A partir de là, vous pouvez travailler à la télévision, où il y a des trucs formidables, de True Detective à Game of Thrones. Ou dans le cinéma indépendant, qui présente ses propres défis. Et puis il reste les films géants. Ce qu’il faut, c’est voir si la métaphore de telle ou telle franchise peut contribuer à éclairer les sujets qui vous intéressent. Pour moi, c’était le cas avec La Planète de singes : non seulement j’adorais cet univers depuis tout gosse, mais les métaphores étaient puissantes. Le film de 1968 racontait l’aventure de Taylor (Charlton Heston) ; Les Origines était un vrai reboot en ce qu’il proposait un changement de point de vue, chose que l’on poursuit et amplifie avec L'Affrontement : on crée de l’empathie pour les singes. En fait, le film ressemble à un western classique, il se trouve juste que la moitié des protagonistes sont des singes. Le facteur "familiarité" aide les spectateurs à se dire "Oh oui, je me souviens de La Planète des singes… " Les aider à se rendre en salles. Mais après, il s’agit de trouver le moyen de glisser en contrebande les trucs qui vous intéressent. De combiner l’élément fantastique avec du drame humain. Certains parlent d’"elevated genre". De la série B, avec des idées A.Interview Olivier BonnardLa Planète des Singes : L'Affrontement de Matt Reeves, avec Andy Serkis, Jason Clarke et Gary Oldman sort le 30 juillet prochain Retrouvez la story du film en couverture du prochain numéro de Première, dès samedi dans les kiosques.Voir aussi :La review de La Planète des Singes : l'AffrontementAndy Serkis : L'Affrontement est une histoire bien plus épique