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Chaque année, à partir de février, c'est la même chose. Les rédactions (ciné, en particulier) n’ont plus qu’une obsession en tête : le prochain Festival de Cannes. Tout le monde regarde sur IMDB les films des grands cinéastes « completed » (finis) ou en post-production pour en tirer des conclusions et des listes. Alors même que les comités de sélections sont en plein travail, ces pronostics sont surtout des réservoirs fantasmatiques et des paris plus ou moins circonstanciés. On a décidé de jouer, nous aussi, en essayant d'être le plus à jour et le plus informé possible. Faites vos jeux, voici nos pronostics cannois 2015. FILMS ÉTRANGERSCEUX QU’ON AIMERAIT VOIRBien calé au 13 mai, date de l’ouverture du Festival, Mad Max : Fury Road suscite une attente folle, notamment chez nous puisque nous avons fait notre couverture avec Tom Hardy en mars dernier. De « certaine », la venue du film de George Miller est désormais passée à « possible ». Elle est conditionnée par l’envie de Warner d’être présent (le studio n’en a pas nécessairement besoin) et par celle du Festival d’injecter un élan punk à la compétition. Pour Pierre Lescure, nouveau Président du Festival et célèbre enfant du rock, l’occasion serait belle d’imprimer sa marque.>>> Fury Road peut-il faire l'ouverture de Cannes ?Deux autres réals rock qu’on aimerait voir sur La Croisette : Paolo Sorrentino et Ben Wheatley. Deux cinéastes de la cruauté et habiles satiristes, qui plus est surdoués du style. L'Italien dépeint le crépuscule de deux vieux artistes - Michael Caine et Harvey Keitel - dans La Giovinezza. L'un attend la mort sereinement, l'autre est habité par une pulsion de vie qui continue de nourrir son art... Pour l'instant, on n'a vu qu'une seule image, mais Sorrentino est un habitué cannois et sa Grande Bellezza en avait tétanisé plus d'un ici. Ben Wheatley était passé à la Quinzaine et pourrait faire ses débuts en compétition avec High Rise, chronique de la décadence anglaise pré-thatcherienne - avec Tom Hiddleston, Jeremy Irons, Sienna Miller. Là encore beaucoup de style (d'après ceux qui ont vu un promo reel) et un propos mordant. Côté animation, on a beaucoup parlé du Petit Prince de Mark Osborne, adaptation libre du classique de Saint Exupéry, qui aurait moins la faveur des pronostics ces derniers temps. Mais le film a un beau casting voix et ce qu'on en a vu est somptueux. Attention cependant : 2015 devrait marquer le retour du studio à la lampe. Avec Vice Versa, le nouveau film de Pete Docter (une fillette et ses émotions cohabitent tant bien que mal), Pixar semble revenir à sa formule magique délaissant sequel et pitch prévisible pour une envolée poétique qui rappelle les grands crus du studio. Si on ajoute The Boy and The Beast de Mamoru Hosoda (le réalisateur du sublime Les enfants loups orchestre la rencontre entre un jeune et un monstre), on tient là les trois films d’animation les plus excitants de l’année sur le papier. Leur présence à Cannes n’aurait rien d’étonnant.La compétition aurait enfin franchement de la gueule avec les nouveaux films de Jeff Nichols (Midnight Special, un thriller SF hommage à Carpenter), Matteo Garrone (Tale of Tales, une suite de contes fantastiques), Denis Villeneuve (Sicario, un polar entre Etats-Unis et Mexique), Alejandro Amenabar (Regression, un thriller sur fond de pédophilie), Brad Bird (À la poursuite de demain, un Interstellar familial), Robert Zemeckis (The Walk, un biopic sur le funambule français Philippe Petit) et Anurag Kashyap (Bombay Velvet, un film noir romantique par le réalisateur indien de Gangs of Wasseypur). Problèmes : 1/ certains ne seraient pas complètement finis (le Bird et le Nichols) ; 2/ la surabondance de films de genre (ce qu’ils sont pour la plupart) est incompatible avec l’éclectisme exigé ; 3/ et quelques uns n'ont clairement pas le profil cannois (Zemeckis ? Bird ?)...  LES SUSPECTS HABITUELS Cette année ni Dardennes ni Ken Loach. Mais la liste des habitués du Festival prêts à dégainer reste longue : Gus Van Sant, Sean Penn, Stephen Frears, Apichatpong Weeresathakul, Naomi Kawase, Takeshi Kitano, Brillante Mendoza, Nanni Moretti, Alexandre Sokourov, Hirokazu Kore Eda, Im Sang-soo, Emir Kusturica, Pablo Trapero… Souvent cité dans les listes de cette année, Michael Haneke ne présentera pas son Flashmob, qu'il vient à peine de commencer. Le doute entoure aussi la venue de Hou Hsiao-hsien dont The Assassin connaît une lente maturation (plus de 8 ans que le festival l'attend...). On parie plutôt sur The Sea of Trees, le nouveau drame existentiel de GVS avec Matthew McConaughey ; sur The Last Face, l’histoire d’amour entre Charlize Theron et Javier Bardem filmée par Sean Penn en Afrique du Sud (il y a aussi Adèle Exarchopoulos), gros film humanitaire au casting surexcitant. On imagine que Love in Khon Kaen, la nouvelle rêverie du thaïlandais Apichatpong Weerasethakul sera projeté dans l'amphithéâtre Lumière ; tout comme Taklub, le survival du philippin Brillante Mendoza et Mia Madre, énième autofiction morettienne. Umimachi Diary, adaptation d’un manga par Hirokazu Kore Eda qui raconte comment le destin de trois soeurs basculent quand elles apprennent que leur père disparu vient de mourir, The Clan, le film de mafieux de l’argentin Pablo Trapero et L’amour et la paix, romance sur fond de guerre d’Emir Kusturica devraient également être de la partie. Et on mise aussi sur Johnnie To, dont la comédie musicale avec Chow Yun-Fat pourrait bien être sur la Croisette dans la mesure où il ne la présentera pas à Hong Kong, qui se tient en ce moment même.LES OUTSIDERSLa plupart ont déjà foulé les marches dans le cadre de la compétition (Jaco Van Dormael, Terence Davies, Alex Van Warmerdam, Andrzej Zulawski) ou d’Un Certain Regard (Joachim Trier, Eric Khoo, Joachim Lafosse, Corneliu Porumboiu). Mais les plus attendus sont sans doute les « novices » Yorgos Lanthimos et Miguel Gomes, bêtes à Festival jamais sélectionnées dans les sections cannoises officielles. The Lobster, le premier film en anglais du grec Lanthimos, mélo situé dans un monde dystopique, suscite une curiosité grandissante. Normal vu le pitch (dans une cité futuriste, les citoyens esseulés sont obligés de trouver l'amour en 45 jours. S'ils échouent ils sont transformés en animaux et exilés dans un bois) et le casting (Colin Farrell, Rachel Weisz et Léa Seydoux). Quant aux Mille et une Nuits, revisitation contemporaine du célèbre conte, il intrigue non seulement par sa durée mammouthesque (environ 7h00 !) mais aussi par le talent atypique du réalisateur portugais à qui l’on doit le fascinant Tabou. N’oublions pas Angelina Jolie, dont le By the Sea, portrait d’un couple dans la France des années 70 interprété par « Brangelina » et Mélanie Laurent, pourrait mettre le feu aux marches.FILMS FRANÇAISD’abord, celui qu’on aimerait voir mais qu'on ne verra pas. Et pour cause, La Blessure d’Abdellatif Kechiche ne serait même pas commencé – on parle au conditionnel car le plus grand mystère l’entoure. Ensuite, celui qu’on n’est pas tout à fait sûr de voir : Erran de Jacques Audiard, portrait d’un réfugié politique sri-lankais tamoul, est en plein montage – comme l’était De rouille et d’os en 2012, et finalement sélectionné. Le troisième « monstre » français, Arnaud Desplechin, est de son côté prêt avec Nos Arcadies, sorte de préquelle à Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) Desplechin raconte la jeunesse de ses protagonistes à Roubaix. On voit mal Cannes se passer de lui... Le vénérable Jean-Paul Rappeneau, absent du paysage cinématographique depuis douze ans et son formidable Bon Voyage, a signé son huitième long métrage en 49 ans de carrière (!). Il revient avec Belles Familles, coécrit avec son fils Julien et Philippe Le Guay, qui réunit, aux côtés de Mathieu Amalric, Karin Viard, André Dussollier, Nicole Garcia et Gilles Lellouche. Pareil que Desplechin : on ne voit pas comment cette histoire d’un homme qui revient au bercail après dix ans d’exil ne serait pas honorée d’une sélection ou au moins d'une belle mise en avant sur les marches.Gaspar Noé et Lucile Hadzihalilovic sont les plus singuliers de nos cinéastes. Noé pourrait ramener du Love, sur la Croisette. Son « mélodrame sexuel » aux scènes crues semble avoir du retard mais Noé est comme à la maison à Cannes. On lui fait confiance pour être dans les temps. Lucile Hadzihalilovic n’a plus tourné depuis 2004 et son fascinant Innocence. Son film fantastique, Evolution, a les atours de la claque esthétique ; il est éclairé par Manuel Dacosse, l’autre génie belge de la photo avec Benoit Debie.Maïwenn n’a été sélectionnée qu’une fois en Compétition mais Polisse, Prix du Jury en 2011, a tellement marqué les esprits qu’on a l’impression qu’elle fait partie des murs. Mon Roi, récit d’une passion folle (entre Vincent Cassel et Emmanuelle Bercot), a toutes les chances d’être retenu. Le contraire serait mal interprété.Trois fois présent en compétition (inclus son court métrage L’interview), Xavier Giannoli devrait soumettre Marguerite, un film dans lequel Catherine Frot - qui tient le rôle-titre - joue une riche philanthrope amatrice de chant lyrique et persuadée d’être une diva. Si Giannoli, qui a réinventé Depardieu dans Quand j’étais chanteur, réussit la même prouesse avec Frot, il ne sera pas loin de la passe de quatre.Valeurs cannoises établies, Barbet Schroeder (Amnesia, fiction autour de la scène électro des années 90), Philippe Garrel (L’ombre des femmes, variation autour du sentiment amoureux) et Robert Guédiguian (Une histoire de fou, film d’époque avec l’histoire sanglante de l’Arménie en toile de fond) paraissent de leurs côtés cantonnés aux sections parallèles.LES OUTSIDERSCinéaste aussi éclectique qu’inégal, Guillaume Nicloux peut surprendre tout le monde avec The Valley of Love, qui réunit Gérard Depardieu et Isabelle Huppert pour la troisième fois seulement - et pour la première fois depuis Loulou, en 1980 ! Les deux stars jouent des parents convoqués par lettre par leur défunt fils pour qu’ils le rejoignent dans « La vallée de la mort » aux Etats-Unis. Ils décident de s’y rendre. Sujet intrigant, casting prestigieux : la recette d’une sélection en compèt ?L’affiche du cinquième film d’Emmanuelle Bercot (scénariste et actrice de Polisse, mais aussi vedette du nouveau Maïwenn) a également de la gueule : Catherine Deneuve, Benoît Magimel et Sara Forestier entourent le débutant Rod Paradot dans la peau d’un jeune délinquant que ses éducateurs tentent de sortir de la spirale de violence. Parti de loin, La tête haute serait mieux qu’un challenger.Pour finir, les films de Valérie Donzelli (Marguerite et Julien, projet abandonné de Truffaut sur des amants incestueux au XVIIème siècle), Thomas Bidegain (Les Cow Boys, drame familial), Nicolas Saada (Taj Mahal, huis clos dans une chambre d’hôtel de Bombay) et Bruno Podalydès (Comme un avion, nouvelle comédie chorale) ont des profils intéressants mais, face à l’écrasante concurrence, pourraient être « récupérés » par la Quinzaine des Réalisateurs et La Semaine de la Critique. Quant à La dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil de Joann Sfar, il ne serait, aux dernières nouvelles, pas prêt à temps.Quoiqu'il en soit, il faudra attendre la mi-avril pour savoir si Thierry Frémaux et son équipe nous donnent raison ou tort... Christophe Narbonne