Holly (2024)
Capture d'écran/New Story

Rencontre avec la réalisatrice belge de ce film sur une ado dont les dons de medium lui valent tout à la fois reconnaissance et harcèlement. Une réflexion passionnante autour des notions de foi et de croyance

Qu’est ce qui donne naissance à Holly ? L’envie de parler de l'adolescence ? De la foi ? De croyance ?

Fien Troch : Comme j’en ai l’habitude, j’ai commencé à écrire le scénario pendant le montage de mon précédent film, Home… il y a donc 7 ans ! Comme une contre- réaction par rapport à ce que je suis en train de faire, pour ne pas me répéter. Avec Nico Leunen, mon mari qui est aussi le monteur de mes films, on a d’abord eu envie de raconter l’histoire non pas d’un seul et unique personnage mais d'une communauté. Une communauté en deuil. Comment se remettre debout et reprendre la vie quotidienne après une tragédie. Et le faire sans rester scotché à cette tragédie, en montrant l'absurdité qui peut naître de cette situation. Passer par la comédie était ambitieux et de fait, au bout d’un an de travail, j’avais des scènes qui fonctionnaient mais pas un film. Alors j’ai décidé d’essayer de mettre en avant un des personnages de ce scénario choral, Holly, tout en gardant cette idée d’une communauté en deuil qui, affaiblie, qui a besoin de réponses à ses questions mais aussi ce parti pris de glisser des éléments un peu plus légers pour permettre aux spectateurs de souffler. Car elle correspond au fond à ma manière d’envisager la vie où rien n’est jamais d’une seule tonalité.

Est- ce que jouer avec ce que le futur spectateur et son ressenti de cette ado, perçue entre sainte et sorcière pour son apparente capacité à lire l’avenir et à soulager les gens dans le chagrin compte dans votre écriture ?

Oui et ce pour une raison toute simple : mon film pose volontairement plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Parce qu’il traduit sans doute mes propres ambivalences lorsqu’il est question de foi ou de croyance. A priori, je ne suis pas croyante mais est- ce que je ne me tournerais pas vers la foi s’il arrivait à moi ou mes proches quelque chose de très grave ? Je ne peux pas affirmer que non. C’est exactement ce que la plupart des habitants de cette communauté ressentent face à Holly.

C’est un hasard si vous avez fait de votre personnage central une jeune femme et non un jeune homme ? Est- ce que vous voyez Holly comme une descendante des sorcière du Moyen- Âge ?

C’est exactement ça. Il y a cette idée d’une jeune femme accusée de provoquer des choses dont les gens ont besoin mais dont, très vite, ils ne supportent pas le côté inexplicable. Et je reste persuadée que comme à l’époque des sorcières, une femme est plus vite vue comme une menace dès lors qu’elle a ou prend un pouvoir. Parce qu’on a pris l’habitude au fil des siècles qu’elle soit dirigée. Et même si les choses bougent, cela mettra des générations à changer.

Comment travaillez- vous à créer cette ambiance réaliste teinté de fantastique avec votre chef opérateur Frank Van den Eeden ?

C'était la première fois que je n’avais pas une idée claire de ma mise en images pendant l’écriture d’un film. J’ai donc revu pas mal de films de genre pour en comprendre plus précisément le mécanisme de la tension et du malaise qui s’y développe. L’un d’eux a été essentiel dans ce travail- là : le Suspiria de Dario Argento. Mais comme vous le dîtes, Holly est un film avec beaucoup de thèmes donc beaucoup de couches. Donc il y avait l’impossibilité d’une ligne claire contrairement à mes précédents longs métrages et j’allais devoir mêler à une ambiance très réaliste une touche de mystique sans que cela paraisse artificiel. Cela prolongeait mon questionnement au moment de l’écriture où j’ai eu la tentation parfois d’entraîner Holly vers un personnage plus ouvertement fantastique avant d’y renoncer par peur de copier des dizaines d’héroïnes de films que j’avais déjà vus. Le fantastique ne devait qu’affleurer. A l’écriture comme à l’image. Pour jouer avec ce que le spectateur peut voir ou croire d’elle. Tout passe par la suggestion. En particulier sur la manière de filmer une adolescente normale qui paraît avoir des dons anormaux. Ca se joue sur une manière de positionner la caméra un peu plus basse quand je la filme. Mais aussi par faire apparaître sur le plateau puis à l’étalonnage, de manière très discrète, une petite lumière dès qu’elle semble faire quelque chose qui sort de l’ordinaire.

Qu’est ce qui vous a conduit à confier ce personnage à Cathalina Geeraerts, si fascinante à l’écran et comment avez- vous travaillé avec elle ?

C’est son premier rôle au cinéma. Pendant les trois tours d’audition, j’ai pu voir sa capacité à suivre précisément et immédiatement les indications que je lui donnais. Dans la vie, c’est une vraie adolescente, dont l’attention part à chaque instant dans toutes les directions. Elle n’est pas Holly dans la vie de tous les jours ! Mais, en l’espace de quelques secondes, elle avait cette capacité à le devenir de manière incroyable, à passer instinctivement. Je me suis donc appuyée sur ça pour la diriger. Sur son talent. Je ne passe jamais par des répétitions. Dans nos échanges, je comprends juste ce qu’elle sait faire spontanément et ce qu’elle ne sait pas faire pour ne pas perdre de temps sur le plateau. Ca veut aussi dire que j’essaie de comprendre qui elle est en échangeant avec elle sur ce qu’elle pouvait reconnaître de sa personnalité dans celle d’Holly, elle m’a expliqué ainsi avoir connu le harcèlement. Et j’essaie de voir moi les sentiments dont elle pourrait se sentir proche. J’ai ainsi par exemple compris que si elle n'est pas timide, Cathalina se sent très vite mal à l'aise quand il y a trop de gens autour d'elle. Mais franchement, ce travail avec elle fut vraiment fluide et facile.

 

Holly. De Fien Troch. Avec Cathalina Geeraerts, Greet Verstraete, Els Deceukelier… Durée : 1h42. Sortie le 6 mars 2024