Gérard Depardieu : 13 femmes témoignent de violences sexuelles dans Mediapart
Abaca

De 36 quai des Orfèvres (2004) à Maison de retraite (2022), Gérard Depardieu a multiplié les gestes et propos déplacés envers des actrices, figurantes, maquilleuses...

La comédienne Charlotte Arnould a accusé publiquement Gérard Depardieu de l'avoir agressée sexuellement en 2018, alors qu'il l'aidait à répéter une pièce de théâtre. Les révélations faites par l'actrice, âgée alors de 22 ans, ont poussé la réalisatrice Andréa Bescond (Les Chatouilles) à réagir sur son compte Instagram, en novembre dernier, alors que le comédien avait été mis en examen dans cette affaire. « Tu t’appelles Gérard Depardieu. Tu es mis en examen pour viols et agressions sexuelles, écrivait-elle, Tu dégoûtes, mais le pire, c’est que les Françaises et Français sont encore de ton côté. »

Un post qui lui a valu de nombreux commentaires de femmes elles aussi victimes de gestes et propos déplacés du comédien de 74 ans. « C’est la seule personnalité publique sur laquelle j’ai reçu autant de témoignages, il y en avait une demi-douzaine, beaucoup d’expériences de plateaux », raconte Andréa Bescond à Mediapart, qui a mené l'enquête et réuni les témoignages de treize femmes victimes d'agressions sexuelles de la part du comédien, survenus notamment sur des tournages de films et de séries entre 2004 et 2022.

« Trois de ces femmes ont apporté leur témoignage à la justice, mais aucune n’a porté plainte, explique l'auteure de l'enquête, Marine Turchi. Les unes ont renoncé, les autres n’y ont même pas songé. En cause, le sentiment que leur parole pèserait peu face au monument du cinéma français. Et qu’elle pourrait même signer la fin de leur carrière. » Elle cite alors plusieurs expériences, sur les plateaux des films 36 quai des Orfèvres (2004), La Môme (2006), Disco (2008), L'Autre Dumas (2010), Maison de retraite (2022) ou de la série Marseille (2016-2018). Elle précise aussi que Gérard Depardieu a été contacté au cours de cette enquête, mais qu'il « n’a pas souhaité nous rencontrer ni répondre à nos questions écrites. Par la voix de ses avocat·es, au sein du cabinet Temime, il « dément formellement l’ensemble des accusations susceptibles de relever de la loi pénale (lire ici sa réponse intégrale).» »

« Les témoignages recueillis par Mediapart décrivent un même « mode opératoire », selon la formule de plusieurs femmes, poursuit Marine Turchin. Le comédien instaurerait d’abord une ambiance sexualisée et malaisante, en tenant de manière permanente des propos sexuels crus, en posant des questions intimes ou sexuelles aux femmes, en faisant des « bruits de porc en rut », des « grognements » et « reniflements », selon de nombreux récits. Avec certaines femmes, il irait plus loin : il leur toucherait les cuisses ou les fesses ou bien mettrait sa main à leur entrejambe ou dans leur culotte. Le plus souvent au vu et au su de tous. »

Maison de retraite - Avec Kev Adams et Gérard Depardieu (2022)
UGC Distribution

Sont alors détaillées des agressions sexuelles et ou verbales de plusieurs comédiennes, souvent jeunes. La comédienne Alysse Hallali n'avait que 17 ans quand elle a été castée pour jouer la fille de Depardieu dans L’Autre Dumas et qu'il lui a fait des remarques salaces en l'attrapant pour lui caresser les seins, sur le plateau du film.

Sarah Brooks en avait 20 sur le plateau de Marseille, en 2015, quand il a glissé sa main dans son mini-short dans le but « de [lui] toucher les fesses ». « Je lui enlève une deuxième fois et je dis tout fort : “Il y a Gégé qui met sa main dans mon short.” Il a répondu : “Bah quoi, je pensais que tu voulais réussir dans le cinéma ?” Tout le monde a ri, du coup il a continué. J’étais super mal, c’était hyper humiliant. »

Une actrice préférant rester anonyme raconte le même genre de comportement sur le plateau de La Môme, alors qu'elle avait 39 ans. « Ça commence au départ par un truc goguenard, sympathique, puis il fait des grimaces salaces avec sa langue, raconte-t-elle. Des gestes obscènes, tient des propos toujours de l’ordre de “ta chatte”, “tu mouilles”, “je vais te lécher la chatte”, “enlève ton Tampax”. Et d’un coup, il arrive par-derrière et me tripote, sans demander mon avis… (…) C’était violent, humiliant, blessant. Pendant une semaine, j’ai tenu comme un animal qui se défendait. J’étais épuisée. Chaque soir en rentrant dans ma chambre d’hôtel, je pleurais. (…) J'ai eu de la chance (de rencontrer l’acteur à 40 ans, ndlr). À 20 ans, j’aurais été bousillée. »

La plupart des témoignages insistent aussi sur l'absence de réaction de la part des personnes présentes sur les différents plateaux de tournage, à l'exception de Fabien Onteniente, qui a confronté Gérard Depardieu sur le plateau de Turf après avoir appris que l'une de ses figurantes avait subi des attouchements de sa part. « C’est ce qu’expriment les femmes dont nous avons recueilli le récit : leur statut ne leur permettait pas de protester, lit-on à la fin de l'enquête de Mediapart. Peur d’être « virée » ou « blacklistée » dans le milieu. Peur qu’« un tournage à plusieurs millions s’arrête à cause d’[elle] ». Peur aussi de batailler seule contre tous. Car la plupart affirment n’avoir pas trouvé de soutien sur le tournage, et avoir eu le sentiment « que tout le monde semblait cautionner ce qui se passait ». Plusieurs de celles qui ont alerté notent d’ailleurs qu’ensuite « il ne s’est rien passé ». »