Ce soir, TF1 diffuse à 20h55 le film La vengeance dans la peau de Paul Greengrass avec Matt Damon. Retour dans les archives de Première pour découvrir l'interview de l'acteur américain réalisée à la sortie de ce film d'action en 2007.

Première / Tous les films d'action empruntent aujourd'hui à Jason Bourne, qui est souvent célébré comme le héros emblématique du XXIè siècle. Qu'en pensez-vous ?Matt Damon / Chaque épisode de la saga est différent et reflète l'état du monde au moment où il a été conçu. Quand j'ai commencé à tourner dans La Mémoire dans la peau, Clinton était toujours président. Pendant que je bossais sur ce film, l'élection a été volée par les républicains... Pour résumer, l'intrigue parle d'un groupe qui commandite illégalement des assassinats au sein même de la CIA. Depuis le 11-Septembre, ces assassinats sont devenus légaux en Amérique, la CIA peut tuer n'importe qui en toute impunité. Si nous devions refaire La Mémoire dans la peau aujourd'hui, le film n'aurait plus aucun sens. Entre-temps, Bourne est devenu un personnage américain iconique. Dans La Vengeance dans la peau, on le voit pointer une arme sur la tempe d'un méchant en disant : "Vous m'avez impliqué dans une guerre qui ne me concerne pas sous de faux prétextes." C'est une référence directe à l'actualité. Nous n'aurions pas mis ça dans le film il y a trois ans.La saga Bourne semble être davantage le reflet de la guerre en Irak que celui du 11-Septembre. Elle est clairement le fruit d'un pays qui n'a plus confiance en son gouvernement...Exact. Dans ce troisième volet, nous montrons les autorités sommant le héros de tuer un homme qui a un sac noir sur la tête. Il leur demande quel crime a commis cet homme, mais personne ne lui répond. Encore une fois, le parallèle avec la réalité n'est pas compliqué à établir. La Constitution américaine est en train de partir en fumée. Elle mentionne plusieurs droits fondamentaux : la présomption d'innocence, le droit de faire face à ses accusateurs dans un tribunal - droit que l'administration ne cesse de bafouer. Je n'oublierai jamais cette phrase prononcée par Doug Liman pendant que nous tournions La Mémoire... : "Je me suis emparé d'un roman républicain pour en faire un film démocrate." (Rires) Qu'est-ce que ça fait de jouer dans un film de Paul Greengrass ? Vous avez l'impression qu'on tourne un documentaire sur votre habileté à étrangler votre prochain ?(Rires) C'est un peu ça oui. Le premier jour de tournage de La Mort dans la peau, j'ai tout de suite compris quel genre de réalisateur était Paul. Nous étions à Moscou, en fin de journée et nous devions absolument mettre un plan en boîte avant de perdre la lumière du soleil. Dans la scène, je venais de me faire tirer dans l'épaule et je devais arrêter de marcher dans un tunnel pour regarder ma main ensanglantée. Tout le monde était sur les nerfs car la nuit tombait. Je demande alors au chef op quel est son cadre pour que ma main, quand je la regarde, soit bien dans le champ. Paul m'a entendu et il est arrivé vers nous en hurlant au caméraman : "Non, non, non ! Où que soit sa main, c'est à toi d'aller la chercher !" Génial pour un acteur. Du coup, je n'avais plus à me soucier de la caméra, elle devait capturer ce que j'allais faire. Ça procure une liberté incroyable. Souvent les comédiens prennent la mauvaise habitude de jouer pour la caméra et en viennent à oublier l'essentiel : se concentrer sur leur personnage et apparaître le plus naturel possible.Habituellement, quand on assiste au tournage d'un film américain, on constate que les acteurs doivent respecter des marques tracées au sol et des distances mesurées au millimètre près.J'en sais quelque chose... Paul a débuté dans le documentaire. Il participait à une émission appelée World in action dans laquelle on lui passait une caméra en lui disant : "Bon tu files au Salvador, au Nicaragua, à Beyrouth..." Il a filmé des fusillades, des bombardements, a forgé son style en couvrant les événements qui se déroulaient dans ces pays en crise. Du coup, sa caméra réagit en fonction de l'action et non l'inverse. On ne sait jamais quand une bombe va exploser. Quand il tourne, sa caméra n'anticipe jamais sur ce qui va se passer. C'est ce qui rend son cinéma si palpitant. Vous savez que quelque chose va arriver mais vous ne savez jamais quand. Il n'y a pas de filet de sécurité.Avant de tourner La Mémoire dans la peau, vous étiez devenu une vitrine pour les frères Weinstein et vous sortiez de deux échecs consécutifs : De si jolis chevaux de Billy Bob Thornton et La Légende de Bagger Vance de Robert Redford. Pensiez-vous que ce film aurait un tel impact sur votre carrière ?Jamais de la vie. Quand De si jolis cheveux et... Bagger Vance se sont plantés, le crédit que j'avais obtenu après Will Hunting s'est épuisé. On ne me faisait plus aucune offre. Pour ne rien arranger, La Mémoire dans la peau arrivait précédé d'un bouche-à-oreille désastreux : nous avions dû retourner des scènes, la sortie avait été décalée d'un an...Lorsqu'on m'a dit que le film allait rapporter presque 30 millions de dollars le premier week-end, j'ai halluciné. Dès le lundi matin, je recevais une vingtaine de propositions. Franchement, ce succès a dépassé toutes mes espérances. Il me permet aujourd'hui de pouvoir faire exister un film sur mon seul nom.La plupart des acteurs doivent se tourner vers le cinéma indépendant pour trouver de bons rôles alors que vous, vous parvenez à les dénicher à Hollywood. Comment faites-vous ?Il faut se serrer la ceinture. Prenons Syriana, qui, malgré les apparences est un film de studio : George Clooney et Steven Soderbergh qui produisaient le film m'ont fait lire le scénario que j'ai adoré. Le seul moyen de monter un tel projet, dont le budget s'élève quand même à 60 ou 70 millions de dollars, est d'adapter son salaire. George s'est chargé de son deal et du mien. On n'a pratiquement rien demandé comme cachet, mais en contrepartie, un pourcentage du film nous appartient. A l'arrivée, comme on l'avait prévu, Syriana est rentré dans ses frais sans nous rapporter d'argent. C'était le seul moyen pour que le film existe. (...) Il y a aussi un accord tacite avec la Warner qui a financé Syriana. On leur "donne" un Ocean's Twelve ou un 13 et quand un projet moins populaire nous tente, on leur dit : "Les gars, c'est votre tour."La critique a éreinté le troisième...Il a été plutôt bien reçu aux Etats-Unis...La presse française l'a démoli...C'est vrai ? Les médias américains s'étaient plus défoulés sur Ocean's Twelve. Qu'en avaient pensé les Français ?Ils avaient trouvé ça pas mal.Alors que les Américains avaient dégueulé dessus en disant : "Ah, voilà un film que les Français vont aimer !" (Rires)Interview réalisée par Mathieu CarratierLa Vengeance dans la peau est diffusé ce soir à 20h55 sur TF1.