Toutes les critiques de Good Bye Dragon Inn

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Après « Et là-bas, quelle heure est-il ? » qui suivait une ligne de souvenir entre Taiwan et la France, la figure de Jean-Pierre Léaud des « 400 coups » et un très beau film sur l'exil d'une jeune taiwanaise à Paris, Tsai Ming-Liang continue dans « Goodbye dragon inn » (en français Au revoir, Dragon inn) d'exhumer ses souvenirs.
    Goodbye dragon inn est un film d'insomniaque. On y est souvent seul face à ses désirs, ses souvenirs, torturé par une mémoire mi-éveillée mi-somnambule tant elle se force à ne pas vouloir oublier, presque maladivement. Mais de quoi s'y souvient-on ? Du cinéma d'abord, car Goodbye dragon inn c'est les quelques heures d'un cinéma qui ferme ses portes ce soir. C'est la dernière séance, on y projette Dragon inn, un film de King Hu, l'un des grands maîtres du cinéma chinois.Dans cette salle on y erre beaucoup. Lieu de rencontres, de drague, des hommes s'y croisent, se frôlent. Mutisme totale, film sans parole ou presque, cette salle n'est que solitude. Solitude des êtres à la recherche de désir à assouvir, des spectateurs, d'une ouvreuse boiteuse qui vagabonde dans les couloirs à la recherche d'un vide total, d'elle-même peut-être, de son passé, son avenir, le film ne répond pas. Solitude des plans fixes interminables qui voudraient cadrer et circonscrire ces sentiments noirs, désolés, dévastés d'un temps qui s'épuise. La cohorte d'âme seules qui peuplent Goodbye dragon inn, comme à l'habitude chez Tsai Ming-Liang, trouvent dans les lieux un pendant à leur mal être. L'espace neutre des grandes villes de Vive l'amour a fait place au lieu hanté et habité d'une salle de cinéma, mais les êtres sont toujours incapables de communiquer.Tsai Ming-Liang radicalise son dispositif jusqu'à le conceptualiser. Maniaque, mauvais influence d'un détour au Fresnoy, cette école d'art française si bien côtée dans laquelle il a enseigné ? Preuve probable des limites de son cinéma ? Cherchons encore. Dans Goodbye dragon inn, le temps dure parfois trop longtemps, les plans s'étirent et semblent quelques fois n'enregistrer plus que leur propre intention. Nous ne sommes plus seuls avec l'ouvreuse mais c'est elle qui devient seule dans le plan. Cette obsession de la durée, du plan fixe, parfois vaine tant elle n'arrive plus à dissimuler ici son manque d'objet réel - ou plutôt tant elle nous montre ce qu'il faudrait voir -, cache aussi les aspirations d'un film obsédé par une volonté de ne pouvoir laisser le temps lui échapper.Les images de ces solitudes vagabondes - entre l'immensité trop vaste de la salle, vidée de l'intérieur par des spectateurs trop absents, et les couloirs où l'homosexualité de certains trouve ses dernières heures de caresses discrètes et retenues - semblent incapable de se résoudre à quitter la salle. En glissant dans les matières, les couleurs, la lumière, une nostalgie (un peu de passé au travers duquel passe d'abord la représentation de ce cinéma populaire comme moment de rencontre en solitaire), Tsai Ming-Liang transforme presque en momie ces anonymes et ces lieux qu'il ne semble pouvoir se résoudre à laisser s'enfuir dans le cours immuable des événements. Entre les silences des voix, les regards croisés, que l'on évite, dissimule, entre frustration et élans pulsionnels, Goodbye dragon inn transforme cette salle au crépuscule de son histoire en un dernier crépitement de l'âme que Tsai Ming-Liang filme comme s'il ne pouvait plus demander de couper.Cette solitude encore. Elle nous met face à nous-même. Moins parce que le principe du plan fixe et contemplatif imposerait à notre regard une immersion où la durée demanderait à notre intelligence de lire l'image, que parce que soudainement cette gène qui s'empare de nous, cet agacement face à ce qui est peut-être un tic auteuriste, créent l'immédiateté de l'image. Son présent, là où les fantômes du passé, des spectateurs et des films qui sillonnent Goodbye dragon inn, les visibles et les invisibles, n'ont cessé d'être suscités par la sensualité des matières et des corps. C'est dans ce curieux paradoxe, entre un passé dont l'on ne peut vouloir s'échapper et l'instantanéité de ce qui inexorablement passe, que se cache peut-être l'un des plus beaux secrets de Goodbye dragon inn.Enfin Lee Kang-Sheng, Jean Pierre Léaud du cinéaste taiwanais, icône constante du cinéma de Tsai, son alter ego, interprétant ici le rôle du projectionniste, bien sûr, comment pouvait-il en être autrement ? ferme la salle. Dehors il pleut, comme toujours chez Tsai. Une chanson des années soixante (Tsai nous l'indique par un carton) se fait entendre. Nous restons là, toujours plus seul, toujours spectateur de cinéma, à l'écoute, au regard. C'était un nouveau film de Tsai Ming-Liang. Mais peut-être celui-ci était-il plus ancien ? Après tout, cela n'a pas d'importance.Au revoir, Dragon inn (Goodbye dragon inn)
    Un film de Tsai Ming-Liang
    Taiwan, 2003, 80mn
    Avec : Lee Kang-sheng, Tien Miao, Chen Shiang-chyi
    Sortie nationale le 21 juillet 2004[Illustrations : © Diaphana Distribution]
    - Consulter les salles et les séances du film sur Allociné.fr
    - Lire la chronique de Et là-bas, quelle heure est-il ? (2001)
    - Lire la chronique de The Hole (1998)
    - Lire la chronique de Goodbye dragon inn (2003)