Il Y A Longtemps Que Je T'Aime

En choisissant d'écrire et de réaliser un scénario aussi dramatique, Philippe Claudel n'a pas choisi la facilité. Claudel, écrivain et admirateur de Jean Giono, a su tisser avec sensibilité le portrait de personnages pudiques qui dissimulent à grand-peine des blessures abyssales. Dans une mise en scène épurée jamais austère mais alourdie de dialogues trop écrits, le réalisateur laisse du temps à chaque plan.

Il y a longtemps que je t’aime n’est peut-être pas un film parfaitement réussi, mais c’est un film qui fonctionne parfaitement. Pour sa première réalisation l’écrivain Philippe Claudel parvient à créer un univers émotionnel fort que ses maladresses de mise en scène ne parviennent pas à altérer. On entre dans cette histoire à la fois sceptique et curieux, haussant le sourcil au détour d’un plan curieusement mené ou d’une scène carrément « cliché » (la journée à la campagne entre amis très « pub Ricorée ») pour très vite tomber sous le charme des actrices principales remarquables. Kristin Scott-Thomas et Elsa Zylberstein nous invitent à explorer et deviner cet imbroglio familial évidemment tragique et parviennent par l’intensité de leur jeu dépouillé à transmettre une émotion authentique. Le critique adepte de grammaire cinématographique n’y verra sans doute pas un grand film mais certainement un formidable moment d’émotion.

Claudel impressionne. Novice en cinéma, il impose d'emblée un style, une écriture, une photogénie, où les mots précèdent l'impact des images. L'écrivain qu'il est a fait tout sauf un film bavard. Il va chercher dans les silences et les regards, l'émotion qui aurait pu se noyer dans les paroles. Sa construction est imparable.

Le film commence un thriller et puis, très vite, on se rend compte que pour sa première réalisation, l'écrivain Philippe Claudel évoque davantage les liens subtils qui unissent les deux sœurs. Le long travail d'approche, de (re)connaissance entre les deux sœurs, composé de faux-pas, de silence aussi, est fort réussi, d'autant que Kristin Scott Thomas et Elsa Zylberstein forment à l'écran un duo d'une puissante fragilité.

A sa façon de se taire, Kristin Scott Thomas rend palpable le poids de son douloureux passé. La fêlure à fleur de sourire d'Elsa Zylberstein suggère la hauteur de son handicap existentiel. Un beau film traversé par le regard singulier d'un cinéaste naissant.

A travers un récit un peu éparpillé, Philippe Claudel, qui adapte ici son propre roman, s'attache à cette humanité fracturée qu'il tire vers la vie. Lentement, l'ambiance sombre du début laisse passer la lumière du renouveau. La musique poétique de Jean-Louis Aubert rythme ce premier film imparfait mais hors mode.