Toutes les critiques de Lonesome Jim

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Le cinéma de Steve Buscemi a quelque chose d'instantanément touchant. On le croit figé dans le cristal d'un cinéma indépendant US qui ne saurait toujours pas survivre à "jim jarmusch" rec="0" et les autres, et pourtant plutôt qu'arriver trop tard ou répéter un style, il s'invente discrètement un regard qui ne ressemble qu'à lui-même. Avec Lonesome Jim, preuve est que même lorsque les routes semblent balisées, on peut toujours bifurquer. Rares sont les films aussi généreux que Lonesome Jim, troisième long de Steve Buscemi après Animal Factory, Three Lounges, et quelques épisodes des Soprano et Oz. Une générosité voisine d'une simplicité et d'une bonté à l'image profondément sympathique de son auteur. Savoir jouer d'une économie fondée sur la modestie jusqu'à en faire un principe de mise en scène n'a rien d'évident pour éviter un certain conformisme du cinéma indépendant américain. Les principes, les clichés, c'est justement ce que Buscemi évite, avec une élégance et une sincérité qui lui permettent de ne ressembler à rien d'autre que lui-même. Dès qu'on croit pouvoir le loger dans une case, Lonesome Jim s'en écarte, il dérive sans que jamais il ne soit question de pose, d'attitude consciente qui chercherait volontairement à éviter la ressemblance. Il suit plutôt son chemin, sa propre ligne, il nous montre le cinéma de Steve Buscemi, qu'on commence à reconnaître et aimer totalement.Pourtant au jeu des sosies Lonesome Jim commence par laisser présager un décompte de références. Jim est un loser, il a quitté New York où il exerçait un job minable pour rentrer chez ses parents dans l'Indiana. Un bled un peu paumé, petite ville passée à la moulinette des images d'épinale de l'Amérique profonde. Sa famille c'est pas la gloire, mère poule possessive et un peu allumée, père vaguement absent, frère trentenaire dépressif et oncle petit dealer minable qui va embringuer Jim et sa mère (malgré elle) dans ses combines à deux sous. Jim est rentré parce qu'il savait qu'il commençait une dépression, mais il rencontre Anika, infirmière, fille simple au caractère profondément bon. Lui c'est Casey Affleck, elle Liv Tyler, jamais aussi parfaits et beaux qu'amoureusement filmés par la caméra de Buscemi.La dépression c'est toute l'articulation de Lonesome Jim, sa tonalité comme sa construction, une manière de jouer avec le symptôme comme pour le déployer tel un canevas de mise en scène. Jim est blasé, las de tout ; les évènements glissent sur lui, il baisse les bras, laisse couler les choses. Il n'a pas de but, de perspective, il retarde toute action, et le film ne cesse de lui trouver une structure, un rythme mou qui permet de traduire l'enchaînement lymphatique des évènements. Pour montrer l'absence d'emprise sur le réel de Jim, Buscemi maîtrise à la perfection cette adéquation entre le corps, l'état d'esprit de son personnage, et la mise en scène. Soit tout un jeu de montage ciselé, d'écriture dans la justesse, d'ambiance rendue magnifiquement par un filmage en DV qui tout en collant au portrait intimiste donne une tonalité chromatique hyper sensible d'une réelle beauté. Mais Lonesome Jim serait parfaitement ennuyeux s'il n'était que la chronique réaliste d'un dépressif. Pour contrebalancer son humeur triste, il ne prend pas la porte de l'ironie ou du cynisme, il ose plutôt la joie minimale, l'humour décalé et l'espoir discret mais concret. On est jamais pathétique chez Buscemi, tous les êtres ont une certaine dignité. L'apparence de la médiocrité n'est qu'un leurre cachant une empathie sincère pour le moindre second rôle. Il y a chez lui un profond attachement pour la simplicité des choses et des autres, un souci de ne jamais enfermer ses personnages d'une manière ou d'une autre. Ainsi la trajectoire de Jim dépasse brillamment le simple portrait de loser complaisant. Sa rencontre avec Anika, angélique et profondément aimable, parsème le film d'une lumière qui s'intensifie lentement jusqu'à devenir l'aube possible de jours nouveaux et enfin heureux. C'est là la splendeur de Lonesome Jim, d'éviter l'apitoiement comme la caricature, d'être toujours à la lisière du connu et du jamais vu, de teinter les émotions de sensations subtilement changeantes. Avec Steve Buscemi, même au fond du trou il y a forcément un visage, un regard, un sourire pour nous mener vers de nouveaux chemins. La vie comme une route c'est pas nouveau, mais des cinéastes qui osent encore affirmer l'espoir des cheminements toujours possibles, ça devient rare. Lonesome JimDe Steve BuscemiAvec Casey Affleck, Liv Tyler, Mary Kay PlaceSortie en salles le 16 novembre 2005